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l’ai dit, est de savoir si les insectes ont été formés comme les autres êtres dans la période des six jours, ou s’ils sont nés dans la suite de la décomposition des corps. On peut soutenir que ceux qui naissent de la terre et des eaux furent créés dès l’abord ; on peut même y ajouter les animalcules qui se forment avec la végétation dont la terre est le principe ; car cette végétation avait précédé la création des animaux et même celle des luminaires ; en outre, elle fait presque partie de la terre où ses racines s’enfoncent et d’où elle sortit le jour même que parut le globe nu et aride, plutôt pour achever de le rendre habitable que pour le peupler. Quant aux vers qui se forment dans le corps des animaux et surtout dans les cadavres, il y aurait folie à prétendre qu’ils furent créés en même temps que les animaux, à mains qu’on ne veuille dire que dans l’organisme de ces animaux étaient déposés les principes, et pour ainsi dire, les germes enveloppés des insectes futurs, destinés à naître, selon leurs espèces, de leurs corps corrompus, d’après les lois mystérieuses du Créateur, qui donne à tout le mouvement sans cesser d’être immuable.

CHAPITRE XV. DES ANIMAUX VENIMEUX.


24. On demande encore d’ordinaire si les animaux venimeux et malfaisants ont paru après la prévarication de l’homme pour le punir, ou s’ils ont été créés avec des mœurs inoffensives et n’ont attaqué pour la première fois que des coupables. Cette dernière opinion n’a rien qui doive surprendre : sans doute, les peines et les douleurs se multiplient pendant cette vie mortelle, puisque personne n’est assez juste pour oser se dire parfait et que l’Apôtre nous atteste avec tant d’autorité « qu’il n’a point atteint le but et n’est point arrivé au bout de la carrière[1] » ; sans doute, les épreuves et les souffrances physiques sont nécessaires pour exercer la vertu et l’achever, car l’Apôtre nous apprend encore que, « pour qu’il ne s’enflât pas de la grandeur de ses révélations, un aiguillon a été mis dans sa chair, un ange de Satan, pour le frapper de la manière la plus ignominieuse ; qu’il a prié trois fois le Seigneur de l’éloigner de lui et que trois fois il lui a répondu : ma grâce te suffit ; car la vertu s’achève dans la faiblesse[2]. » Cependant, le saint prophète Daniel est resté parmi les lions sans éprouver de mal ni de peur, après avoir reconnu par un aveu sincère ses péchés et ceux de son peuple[3] ; l’Apôtre même vit une vipère s’élancer sur sa main et n’en reçut aucun mal[4]. Ainsi donc ces animaux pouvaient être créés sans être malfaisants, puisqu’il n’y avait alors ni vices à effrayer ou à punir, ni vertus à perfectionner par la souffrance. Aujourd’hui, les exemples de patience sont nécessaires pour l’édification des hommes ; d’ailleurs, l’épreuve seule nous révèle à nous-mêmes, et l’énergie dans les souffrances est le seul moyen légitime de reconquérir le salut éternel, qu’une faiblesse honteuse pour le plaisir a fait perdre.

CHAPITRE XVI. POURQUOI DES ESPÈCES SONT-ELLES ENNEMIES ?


25. Je prévois une objection : Pourquoi les animaux s’attaquent-ils entre eux ? Ils n’ont point de péché à expier ni de vertu à perfectionner dans les épreuves. Assurément ; mais les espèces vivent les unes aux dépens des autres. Il serait peu juste de souhaiter une loi qui permit aux animaux de vivre sans se manger entre eux. Tant que durent les êtres, ils offrent proportion, symétrie, hiérarchie dans l’ensemble ; cet ordre est merveilleux, mais il y a une beauté mystérieuse et non moins réelle dans cette loi d’équilibre qui renouvelle les animaux en les transformant les uns par les autres. Inconnue aux ignorants, cette loi se découvre à mesure qu’on avance dans l’étude de la nature et devient évidente pour les savants accomplis. Le spectacle du mouvement qui anime les créatures moins parfaites, doit au moins offrir à l’homme d’utiles leçons, et lui apprendre à quelle activité l’oblige le salut éternel de son âme, ce magnifique privilège qui fait sa supériorité sur tous les êtres privés de raison. Depuis l’éléphant jusqu’au ciron, les animaux déploient pour sauver l’organisation éphémère qui forme leur lot dans l’ordre où ils ont été créés, tous leurs moyens de défense, toutes les ressources de la ruse ; cette activité n’apparaît que dans le besoin, lorsqu’ils cherchent à réparer leurs organes aux dépens de la substance des autres ; et ceux-ci, pour se conserver, luttent, s’enfuient ou cherchent un refuge dans les cavernes. La sensibilité physique chez tous les êtres est un ressort d’une énergie merveilleuse : répandue dans tout l’organisme par une mystérieuse union,

  1. Phil. 3, 12
  2. 2 Cor. 12, 7-9
  3. Daniel, 6, 22 ; 14, 38 ; 9, 4-19
  4. Act. 28, 5