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CHAPITRE IV. AUTRE RÉPONSE A LA MÊME QUESTION.


9. Ne serait-ce pas qu’au moment où se produisait dans son imperfection la substance simple ou composée il n’y avait point lieu de prononcer le fiat de la puissance créatrice ? En effet le Verbe inséparable du Père, en qui Dieu prononce tout éternellement sans employer ni sons, ni langage successif, puisque c’est seulement à là lumière coéternelle de cette Sagesse qu’il a engendrée ; le Verbe, dis-je, n’est pas pris pour modèle par la ; créature grossière au moment où elle n’a aucune ressemblance avec l’être premier, souverain, et que, par son imperfection même elle tend au néant. Elle imite au contraire la perfection de ce Verbe, intimement uni au Père dans l’immobile éternité, lorsqu’en s’attachant, à sa manière, à l’Etre absolu et éternel, c’est-à-dire à son Créateur, elle se façonne en quelque sorte et acquiert sa perfection. Dès lors, ne faut-il pas entendre par le fiat de l’Écriture la parole toute spirituelle que Dieu prononce ou son Verbe coéternel, attirant à lui les créatures encore imparfaites, afin que, dépouillant leur grossièreté, elles arrivent au degré de perfection qu’il, veut donner à chacune d’elles ? Comme elles imitent, dans cette période de leur développement, et selon leur capacité, Dieu le Verbe, je veux dire le Fils de Dieu coexistant avec son Père, ayant les mêmes attributs et la même essence, puisqu’ils ne sont qu’un[1], et comme elles ne prennent plus modèle sur le Verbe, lorsque, s’écartant du Créateur, elles se condamnent à l’imperfection et au néant, il n’est pas question du Fils en tant que Verbe, mais en tant que principe de la création, dans ce passage « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre » passage qui fait entendre que la créature à son origine manquait de forme et de perfection. Mais il est question du Fils, qui est aussi le Verbe, dans ces mots : « Dieu dit : que la lumière soit. » Ainsi par le mot de commencement ou de principe on fait entendre l’origine de la créature tenant de Dieu une existence encore imparfaite ; en nommant le Verbe, on révèle le perfectionnement de la créature qu’il s’est rattachée, afin qu’elle se formât en s’unissant au Créateur, et en imitant, à sa manière, l’original immuablement uni au Père, lequel l’engendre éternellement égal a lui-même.

CHAPITRE V. LA CRÉATURE INTELLIGENTE RESTE INFORME, SI ELLE NE SE PERFECTIONNE EN PRENANT POUR FIN LE VERBE DE DIEU. POURQUOI L’ESPRIT PORTÉ SUR LES EAUX AVANT LE Fiat lux ?


10. En effet, la vie du Verbe, Fils de Dieu, n’admet aucune imperfection ; pour lui, l’existence n’est pas seulement la vie, c’est la vie unie à la sagesse et au bonheur absolus. Quant à la créature spirituelle, malgré les dons de l’intelligenceet.dela raison qui semblent la rapprocher du Verbe, elle n’admet la vie qu’à un degré imparfait : car, si l’existence en elle implique la vie, elle n’implique pas les dons de la sagesse et du bonheur, et en s’écartant de la sagesse immuable elle vit dans l’aveuglement et le malheur, ce qui constitue son imperfection. Or, pour s’élever à la plénitude de son être, elle doit se diriger vers la lumière indéfectible de la Sagesse, le Verbe de Dieu. C’est en se tournant vers le principe auquel elle doit son existence telle quelle et sa vie, que commence pour elle une vie de sagesse et de bonheur. Car le principe de la créature raisonnable est la Sagesse éternelle ; et quoiqu’elle garde en elle-même sa pure et immuable essence, elle ne cesse jamais de parler par une inspiration mystérieuse à sa créature, pour la rappeler à son principe, en dehors duquel elle perd tout moyen de se développer et d’atteindre à la perfection. Aussi a-t-elle répondu, quand on lui a demandé qui elle était : « Je suis le principe, est c’est moi qui vous parle[2]. »
11. Or quand le Fils parle, c’est le Père qui parle, puisque la parole du Père est son Verbe ou son Fils, qu’il produit par un travail éternel, si l’on peut employer ce mot, quand il s’agit du Verbe coéternel à Dieu. Car, Dieu est animé d’une bonté infinie, pleine de sainteté et de justice ; de plus la bienveillance et non le besoin est la source de l’amour qu’il éprouve pour ses œuvres. Aussi avant de rappeler ces paroles : « Dieu dit que la lumière soit ;» l’Écriture rapporte que « l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux. » Soit que Dieu ait voulu désigner par l’eau la nature physique, et indiquer le principe générateur des choses dont nous voyons maintenant les espèces, comme l’expérience nous montre en effet qu’ici-bas les êtres, sous toutes les formes, naissent

  1. Jn. 10, 30
  2. Jn. 8, 25