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plaisent aux nouveautés, et ils préfèrent l’étude à la science, quoique celle-ci soit le but de l’étude. Une action facile est par eux dédaignée ; ils préfèrent le combat à la victoire, quoique la victoire soit le but du combat. Ils ne tiennent pas à la santé du corps ; ils aiment mieux manger que d’être rassasiés, se livrer aux voluptés charnelles, que de n’en éprouver pas les impressions. Il en est même qui préfèrent dormir plutôt que de ne pas avoir à se laisser aller au sommeil. Et pourtant le but de toutes ces jouissances est de ne plus avoir ni faim ni soif, de ne plus désirer les joies de la chair, de ne plus éprouver de fatigues.

103. Aussi ceux qui veulent sincèrement parvenir à ces fins renoncent d’abord à la curiosité. Ils savent que la seule véritable science est intérieure et ils s’y attachent autant qu’ils le peuvent en cette vie. Puis sans obstination aucune, ils acquièrent la liberté d’action la plus complète : ils savent qu’on remporte une victoire plus noble et plus facile en ne résistant pas à la colère : ils le font aussi, autant du moins qu’ils le peuvent en cette vie ; ils goûtent enfin le repos même corporel en s’abstenant de tout ce qui n’est pas indispensable en ce monde : de cette manière ils ressentent combien le Seigneur est doux. Ils n’ignorent pas ce qui arrive au-delà du tombeau et ils se soutiennent par la foi, l’espérance et l’amour de leur bonheur complet. La science même sera parfaite après cette vie : elle est ici-bas incomplète, mais lorsque ce qui est parfait sera venu, il n’y aura plus d’imperfection[1]. Ce sera aussi la paix la plus profonde. Maintenant la loi des membres combat en moi contre la loi de l’Esprit, mais nous serons délivrés de ce corps de mort, par la grâce de Dieu, en Notre-Seigneur Jésus-Christ[2]. Car nous nous entendons en grande partie avec notre adversaire, maintenant que nous voyageons avec lui[3]. Le corps même jouira d’une pleine santé, il sera sans besoin et sans fatigue, parce qu’au temps où s’accomplira la résurrection de la chair ces membres corruptibles seront revêtus d’incorruptibilité[4]. On ne doit pas s’étonner que tant de bonheur soit le partage de ceux qui dans l’étude n’ont aimé que la vérité, dans l’action que le repos, et dans le corps que la santé. Après cette vie ils auront, dans toute sa perfection, ce qu’ils ont préféré ici-bas.

CHAPITRE LIV.

LES TOURMENTS DES RÉPROUVÉS SONT EN RAPPORT AVEC LEURS VICES.

104. AÀ ceux donc qui abusent du don incomparable de l’Esprit et qui cherchent en dehors de lui les biens visibles dont la destination était de les porter à la contemplation et à l’amour des biens spirituels, à ceux-là sont réservées les ténèbres extérieures ; car elles ont déjà commencé pour eux dans la prudence de la chair et la dégradation des sens charnels. Ceux qui aiment la lutte seront privés de la paix et en proie aux plus redoutables difficultés ; car les plus grandes difficultés commencent dans les combats et les contestations. C’est sans doute pour signifier ces difficultés, qu’il est ordonné de lier au coupable les pieds et les mains, c’est-à-dire de lui enlever toute liberté d’action. Pour ceux qui cherchent la faim et la soif, qui aiment à s’enflammer de coupables désirs et à se fatiguer, afin de goûter le plaisir du boire et du manger, des voluptés et du sommeil, ils aiment déjà la privation, c’est-à-dire le commencement de douleurs plus grandes. Ils auront donc complètement ce qu’ils ont aimé et pour séjour le lieu où ils s’abandonneront aux pleurs et aux grincements de dents[5].

105.Combien d’autres se livrent à tous ces vices réunis, pour qui les spectacles et les contestations, le boire et le manger, les voluptés charnelles et le sommeil, c’est toute l’existence ; dont la pensée ne s’occupe que des impressions trompeuses excitées par une pareille vie ; qui prétendent y puiser les règles de leurs superstitions ou plutôt de leurs impiétés : malheureuses victimes d’illusions qui les captivent encore même lorsqu’ils s’efforcent de repousser les séductions de la chair ! Ils ne font pas bon usage du talent qui leur a été confié, de cet esprit pénétrant qui semble distinguer tous ceux que nous appelons savants, polis, spirituels ; ils l’ont caché dans un suaire ou enfoui dans la terre, c’est-à-dire livré aux plaisirs, aux vanités, aux passions de la chair, sous le poids desquelles leur âme est opprimée. Ils auront donc les pieds et les

  1. 1Co. 13, 9,10.
  2. Rom. 7,23,25
  3. Mat. 5, 25.
  4. 1Co. 15, 53.
  5. Mat. 22, 13.