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tiendra de Dieu immédiatement. Aussi quand le corps aura été réhabilité et purifié, elle en dirigera tous les mouvements, sans redouter ni affaiblissement, ni difficulté. « À la résurrection, il n’y aura plus ni femmes, ni maris, mais ils seront comme les anges dans le ciel[1]. L’estomac est pour la nourriture et la nourriture pour l’estomac, mais un jour Dieu détruira l’un et l’autre[2]. Parce que le royaume de Dieu n’est point le boire et le manger, mais la justice, la paix et la joie[3]. »

83. Ainsi nous trouvons jusque dans la volupté charnelle ce qui nous apprend à la mépriser : le mal n’est point dans la nature du corps, il consiste à s’attacher honteusement au dernier des biens, quand on peut aimer et posséder les premiers. Le cocher précipité de son char et expiant sa témérité, accuse de son malheur tout ce qui l’entoure. Mais plutôt qu’il appelle à son secours ; et si le souverain Maître daigne l’entendre, si on arrête les coursiers offrant un nouveau spectacle de sa chute, et prêts à donner, si l’on ne porte secours, celui de son trépas ; qu’aussitôt remis sur son siège, élevé au-dessus des roues, il ressaisisse les rênes et dirige avec prudence les chevaux redevenus dociles ; il reconnaîtra alors comme tout est bien disposé dans ce char et cet attelage, qui naguère prêt de se briser, l’exposait lui-même après avoir perdu dans sa course la mesure convenable. C’est ainsi que s’est débilité notre corps, lorsque l’âme trop avide au paradis terrestre saisit le fruit défendu, malgré les prescriptions du médecin qui devait la sauver pour l’éternité.

CHAPITRE XLV.

LES EXCÈS DE L’ORGUEIL NOUS ENSEIGNENT AUSSI LE CHEMIN DE LA VERTU.

84. Si donc cette chair visible, qui dans sa corruption, ne peut plus prétendre à la vie bienheureuse, nous enseigne à le reconquérir, lorsque du souverain bien, nous sommes descendus au dernier de tous, quelles leçons plus vivantes se retrouvent dans le désir des distinctions et des honneurs, dans l’orgueil et les pompes de ce monde ? Que veut l’homme en effet dans ces aspirations, si ce n’est d’être seul pour tout dominer, s’il était possible, cherchant ainsi à imiter en mauvais sens la toute-puissance de Dieu ? S’il l’imitait en se soumettant à ses divins préceptes, il serait par lui le maître de tout ; et il ne serait point dégradé jusqu’à redouter l’approche d’un vil animal, pendant qu’il veut commander aux hommes. L’orgueil recherche donc aussi à sa manière l’unité et la toute-puissance ; mais il la veut dans le domaine des biens temporels qui passent tous comme l’ombre.

85. Nous voulons être invincibles, c’est bien, ce désir de notre âme vient de Dieu, qui l’a créée à son image ; mais il fallait accomplir sa loi, elle qui nous eût rendus invincibles. Or, depuis que celle dont les paroles nous ont honteusement séduits, subit elle-même les douleurs de l’enfantement, il nous faut supporter le travail sur la terre et nous sommes ignominieusement vaincus par tout ce qui peut nous troubler, nous épouvanter. Ainsi nous ne voulons pas être vaincus par des hommes, et nous ne pouvons vaincre la colère 1 Est-il rien de plus affreux que cette ignominie ? Nous savons qu’un homme est ce que nous sommes ; s’il a des vices, il n’est point le vice lui-même. Combien donc il serait plus honorable pour nous d’être vaincus par un homme plutôt que par le vice ? Qui ne reconnaît que l’envie est un cruel penchant dont il faut subir l’impitoyable despotisme, quand on ne veut point plier pour des intérêts temporels devant les circonstances ? Il est donc plus convenable aussi d’être vaincu par un homme que de l’être par l’envie ou toute autre passion.

CHAPITRE XLVI.

CE QUI REND L’HOMME INVINCIBLE C’EST L’AMOUR DE CE QU’ON NE PEUT LUI RAVIR, L’AMOUR DE DIEU ET DU PROCHAIN. — COMMENT IL DOIT AIMER LE PROCHAIN.

86. Mais l’homme lui-même ne pourra vaincre celui qui a dompté ses passions. Celui-là seul est vaincu à qui l’ennemi enlève de qu’il aime. Quand donc on n’aime que ce qui ne peut être enlevé, on est assurément invincible et jamais on n’éprouvera les tourments de l’envie. On aime en effet ce qui se prodigue avec d’autant plus d’abondance qu’un plus grand nombre l’aiment et le recherchent. On aime Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit ; on aime aussi son prochain comme soi-même, et loin de lui porter envie pour

  1. Mat. 22, 30
  2. 1Co. 6, 13
  3. Rom. 14,17