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découvre point à elle-même par le raisonnement, c’est à elle que le raisonnement conduit. Vois donc ici une convenance que tu ne pourras retrouver nulle part aussi parfaite, et demeures-y attaché. Sache reconnaître que tu n’es point ce qu’est cette vérité, car elle n’a point à se chercher ; et c’est en la cherchant, non dans l’espace, mais par les désirs de ton âme, que tu as pu la trouver. Ainsi l’homme intérieur pourra s’unir à l’être mystérieux qui habite en lui, et trouver dans cette union non des plaisirs grossiers et charnels, mais la volupté spirituelle et suprême.

73. Peut-être ne comprends-tu pas ceci, et doutes-tu de la vérité de mes paroles ? Regarde au moins si tu n’es pas sûr de ton doute ; et si tu en es certain, cherche ce qui te donne cette certitude. Non assurément, tu n’auras pas pour te guider les rayons du soleil, mais la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde[1]. Elle ne se montre point aux yeux du corps, ni aux regards arrêtés sur les vains fantômes que ces mêmes yeux leur ont apportés ; mais elle apparaît à ceux qui savent dire à ces imaginations : Ce n’est point vous que je cherche, et ce n’est point par vous que je vous juge ; je condamne ce que je trouve en vous de difforme, et j’agrée les beautés que j’y rencontre. Car ce qui dirige en moi le blâme et la louange surpasse encore ces beautés. Aussi je le préfère non-seulement à votre beauté, mais aussi à tous les corps où je vous ai puisées.

As-tu compris cette règle ? tu peux ainsi la formuler : celui qui connaît son doute, connaît une chose vraie : or il est certain de ce qu’il connaît, donc il est certain de ce qui est vrai, et en doutant de la vérité, il trouve en lui ce qui doit mettre fin à son doute. Mais rien n’est vrai que par la vérité : il ne doit donc point douter de la vérité, s’il peut douter de quoi que ce soit. De plus, comprendre ceci, c’est voir par cette lumière qui ne brille ni dans le temps ni dans l’espace, ni au milieu des images que le temps et l’espace peuvent fournir. Et ces vérités pourraient-elles s’altérer, quand même le raisonnement serait anéanti, ou irait se perdre dans les grossières conceptions des hommes charnels ? Car le raisonnement n’a point créé ces vérités, il les a constatées. Donc avant d’être découvertes, elles existent, et c’est pour nous renouveler qu’elles se manifestent à nous.

CHAPITRE XL.

DE LA BEAUTÉ CORPORELLE ET DE LA VOLUPTÉ CHARNELLE. — PEINE DU PÉCHÉ.

74. Ainsi l’homme intérieur renaît à une nouvelle vie et chaque jour se détruit l’homme extérieur[2]. Le premier considère celui-ci, et en le comparant à soi, il le trouve difforme ; mais considéré en son rang l’homme extérieur est beau ; il aime dans les corps la convenance, et corrompt ce qu’il s’approprie, c’est-à-dire ce qui l’alimente. Ces aliments se corrompent en ce sens qu’ils perdent leur nature pour entrer dans la composition de nos différents organes, y renouveler ce qui est usé, et y prendre une forme nouvelle et convenable. L’action vitale les juge en quelque sorte : les uns donc servent à former cette beauté visible, ceux qui n’y sont point propres s’échappent comme superflus. Et parmi ces derniers, les uns plus grossiers retournent à la terre pour revêtir des formes nouvelles ; d’autres s’exhalent de tous les pores ; d’autres enfin pénètrent dans les organes les plus secrets de tout l’être vivant pour le rendre capable de se reproduire, et provoqués par l’union des sexes, ou seulement par l’image de cette union, ils descendent du sommet de la vie au milieu des voluptés grossières. Dans le sein maternel et durant des temps déterminés, ils se rendent à la place désignée, pour former chaque membre dans chaque partie du corps ; et si l’harmonie n’a point été violée, la lumière ajoute son coloris, il naît un enfant que l’on dit beau et dont la vue excite le plus ardent amour dans ceux qui s’y attachent. Ce charme pourtant est moins le produit de la forme vivante, que de la vie elle-même ; car si cet être vivant nous aime, il a pour nous des attraits plus séduisants : s’il nous hait, sa vue nous irrite, nous est insupportable, quand même sa beauté charmerait les regards. Telle est le domaine de la volupté charnelle : telle est l’infime beauté. Elle est soumise à la corruption, sans quoi on en prendrait une trop haute idée.

75. Mais admire ici l’action de la Providence elle ne condamne point comme mauvaise cette volupté, puisqu’elle conserve si visiblement les traces des nombres primitifs, et de la sagesse de Dieu qui est sans nombre ; mais elle

  1. Jn. 1, 9.
  2. 2Co. 4, 16.