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Il subit donc l’empire d’une triple concupiscence : l’orgueil, la volupté et la curiosité. Non, de tous ceux qui ne veulent rien adorer, vous n’en trouverez aucun qui ne se plonge dans les plaisirs de la chair, ou qui n’aspire à une vaine domination, ou qui ne soit sottement épris de quelque curiosité. Malheureux ignorants qui s’attachent aux frivolités pour y trouver leur bonheur !

Mais de gré ou de force, chacun s’attache nécessairement aux moyens où il veut trouver le bonheur. On court partout où on les voit, et l’on craint tout ce qui semble pouvoir les ravir. Or une faible étincelle, un chétif insecte, ne peuvent-ils pas à chaque instant les enlever ? Et sans signaler d’innombrables accidents, le temps lui-même ne détruit-il pas impitoyablement tous les biens périssables ? Aussi comme ce monde les renferme tous, ceux qui par esprit d’indépendance se refusent à toute adoration, subissent l’esclavage de tout ce qui existe en ce monde.

70. Ils sont donc réduits à cet excès de misère, entièrement dominés par leurs penchants coupables, victimes de la chair, de l’orgueil, ou de la curiosité, peut-être de deux de ces passions, ou même de toutes ensemble. Néanmoins, tant qu’ils sont sur le chemin de la vie, ils peuvent les attaquer et les vaincre, pourvu qu’ils croient d’abord ce qu’il ne leur est point donné de comprendre et qu’ils ne s’attachent point au monde : « Car tout ce qui est dans le monde, disent les livres divins, est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition du siècle[1]. » L’Écriture désigne ainsi les trois passions que nous venons de nommer : elle appelle concupiscence de la chair la recherche des plaisirs honteux, concupiscence des yeux, la curiosité, et ambition du siècle, l’orgueil.

71. Triple tentation que la Vérité a subie après s’être faite homme, afin de nous enseigner à la repousser. « Ordonne que ces pierres soient du pain », dit le tentateur. « L’homme, répond cet unique Maître, ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu. » Ainsi nous apprend-il à dompter les entraînements de la volupté, à ne pas même écouter les conseils de la faim. Mais peut-être l’éclat de la domination temporelle pourrait l’éblouir, lui que la volupté n’a pu corrompre. Tous les royaumes de la terre lui sont donc montrés : « Je te les donnerai tous, si tu te prosternes pour m’adorer. » Il est répondu au tentateur : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu ne serviras que lui. » Ainsi notre maître foule aux pieds l’orgueil. Il triomphe également des séductions de la curiosité. Le tentateur ne le pressait de se précipiter du haut du temple que pour faire un essai ; mais il demeure invincible et sa réponse nous apprend que pour connaître Dieu, il est inutile de lui demander des preuves visibles de ce qu’il est « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu[2]. » Ainsi celui que nourrit intérieurement la parole de Dieu ne doit pas chercher la volupté dans le désert de ce monde. Celui qui est soumis à Dieu seul n’aspire point à se produire sur la montagne, n’ambitionne point l’élévation terrestre. Et si le spectacle éternel de l’immuable Vérité ravit l’esprit, il ne faut point quitter cette élévation et abaisser nos regards sur les biens inférieurs et passagers.

CHAPITRE XXXIX.

COMMENT L’HOMME PEUT TRIOMPHER DE LA VOLUPTÉ.

72. Qu’y a-t-il donc encore qui ne puisse aider l’âme à se rappeler sa première beauté perdue, quand ses vices mêmes peuvent lui en fournir le moyen ? Ainsi la sagesse divine atteint avec vigueur d’une extrémité à l’autre[3]; par elle le souverain architecte coordonne toutes ses œuvres vers la beauté d’une même fin ; dans sa miséricorde, il n’a été jaloux d’aucune des beautés qu’il pouvait créer à quelque degré que ce fût et en faisant que nul ne se pelisse séparer de la vérité même, sans en rencontrer quelques vestiges. Examine à quoi tiennent les plaisirs des sens, n’est-ce point à des rapports de convenance ? Car si l’opposition produit la douleur, la convenance engendre le plaisir. Sache donc où est l’accord parfait, mais ne va pas au-dehors, cherche en toi-même ; la vérité réside dans l’homme intérieur ; et si ta nature te paraît trop inconstante, élève-toi plus haut. Mais souviens-toi que t’élever au-dessus de toi, c’est t’élever au-dessus de la raison. Monte donc jusqu’au foyer où s’allume le flambeau de cette raison. Où doit tendre en effet tout bols raisonnement, si ce n’est à la vérité ? Car la vérité ne se

  1. Jn. 2, 16.
  2. Mat. 4, 1
  3. Sag. 8,1