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sous le poids de l’autorité divine, ou bien démontrons-leur, avec toute l’évidence possible, d’abord qu’on n’est point déraisonnable en partageant notre foi, ensuite qu’on l’est beaucoup en ne la partageant pas. Observons toutefois que c’est moins dans le passé et dans l’avenir, que c’est plutôt dans le présent et dans les raisons immuables qu’il faut chercher les moyens de réfuter l’erreur et de la percer à jour, autant qu’on en est capable ici-bas. 61. Quand on parcourt la série des preuves historiques, il faut s’attacher à découvrir l’avenir plus qu’à sonder le passé ; car les divins livres eux-mêmes, en rapportant les événements accomplis, ont soin d’y montrer la figure, la promesse ou la preuve de ce qui doit arriver. Dans cette vie même, on s’inquiète assez peu de ce qu’on a éprouvé de bonne ou de mauvaise fortune ; tous les soucis se portent vers l’avenir qu’on espère. Je ne sais quel sens intime et naturel nous porte à considérer comme non avenu, parce qu’il est passé, ce que nous avons éprouvé de bonheur ou de malheur. Et que m’importe d’ignorer le moment où a commencé mon existence, si je sais que maintenant je la possède, sans désespérer de la posséder toujours ? Ce n’est pas vers le passé que je me dirige et je ne redouterai pas comme une erreur bien funeste de n’en avoir pas une idée fort exacte ; mais sous la conduite et avec la miséricorde de mon Créateur, c’est vers l’avenir qui m’est réservé que je porte mes pas. Si donc je me trompais sur cet état futur et sur le but où je dois tendre, il y aurait beaucoup à craindre ; je pourrais en effet ne pas faire les préparatifs nécessaires, ou bien en prenant une chose pour une autre, me mettre dans l’impossibilité de parvenir au terme où j’aspire. Quand je veux me procurer un vêtement, il n’y a point d’inconvénient à oublier l’hiver passé, mais il y en aurait à ne pas croire au retour du froid ; ainsi l’âme ne perdra rien à oublier ce qu’elle peut avoir souffert, pourvu qu’elle soit sérieusement attentive à quoi on l’avertit de se préparer. Ainsi encore, que perd un homme qui fait voiles vers Rome, s’il oublie à quel port il s’est embarqué, pourvu toutefois qu’il sache maintenant de quel côté diriger son vaisseau ? Que gagnerait-il au contraire à connaître de quel rivage il est parti, si trompé sur le port qui conduit à Rome il venait à échouer contre des écueils ? Que perdrai-je aussi à ignorer les commencements de ma vie, si je connais quels doivent être ma fin et mon repos ; et que me servirait de savoir par souvenir ou par raisonnement quels ont été les premiers moments de mon existence, si j’ai sur Dieu lui-même, sur Dieu la fin unique où tend le travail de l’âme, des idées qui soient indignes de lui, et si je me brise contre les écueils des fausses doctrines ? 62. Loin de moi cependant la pensée de détourner ceux qui en sont capables, du dessein d’examiner, dans les Ecritures divinement inspirées, si une âme est issue d’une autre âme, ou si les âmes se forment une à une dans chaque corps pour l’animer, ou bien encore si la volonté divine les y envoie de quelque part pour leur donner la direction et la vie, ou enfin si elles y viennent d’elles-mêmes. Qu’on ne s’imagine pas que je condamne ces recherches et ces discussions quand surtout elles sont exigées par la nature d’une question importante, ou que l’on a pour ce travail des loisirs suffisants que ne réclament pas des affaires plus nécessaires. Ce que j’ai dit a plutôt pour but de prévenir les censures que nous pourrions élever plus ou moins témérairement contre celui qui ne se rendrait pas à notre opinion sur cette matière et qui resterait dans un doute peut-être plus prudent. Supposé même que l’on comprenne sur ce sujet quelque chose de clair et de certain, il ne faudrait pas accuser d’avoir perdu l’espérance des biens futurs celui qui ne se rappelle pas ce qui s’est passé au début de sa vie.



CHAPITRE XXII. L’IGNORANCE ET LA DIFFICULTÉ FUSSENT-ELLES NATURELLES A L’HOMME, IL Y A ENCORE SUJET DE LOUER LE CRÉATEUR.

63. Quelle que soit la solution de cette question, qu’il faille la laisser complètement de côté ou en ajourner l’examen, rien ne nous empêche de voir maintenant que la nature du Créateur demeure dans une complète intégrité et une justice parfaite, dans son inviolable et immuable majesté lorsque les âmes endurent les châtiments mérités par leurs péchés. Ces péchés, en effet, comme nous l’avons démontré il y a déjà longtemps, doivent être attribués à leur volonté propre, il ne faut pas leur chercher d’autre origine. 64. Mais si l’ignorance et la difficulté sont