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Dieu a su d’avance que le premier homme pécherait, et quiconque admet avec moi la divine prescience ne saurait le contester ; si donc Dieu l’a su d’avance, je ne prétends pas qu’il n’aurait pas dû créer le premier homme ; ne l’a-t-il pas fait bon, et le péché de cet être créé bon par Dieu pouvait-il faire obstacle à l’action de Dieu ? Que dis-je ? Non content d’avoir glorifié sa bonté en le créant, Dieu n’a-t-il pas aussi glorifié sa justice en le punissant et sa miséricorde en le délivrant ? Je ne prétends donc pas qu’il n’aurait pas dû le créer, mais je dis : Puisqu’il savait qu’il pécherait, il était nécessaire qu’il péchât, conformément à cette divine prescience. Et comment croire que la volonté soit libre quand elle est sous l’empire d’une aussi inévitable nécessité ? 5. A. Tu viens de frapper avec violence. Daigne la miséricorde divine nous assister et ouvrir à nos instances ! Je présume toutefois que si la plupart des hommes se tourmentent de cette question, c’est uniquement parce qu’ils ne l’examinent pas avec piété et qu’ils sont plus prompts à s’excuser qu’à s’accuser de leurs fautes. Les uns, en effet, admettent volontiers qu’il n’y a pas de Providence divine pour diriger les choses humaines, et en abandonnant aux hasards et leur âme et leur corps, ils se livrent aux coups et aux désastres des passions ; ils nient la justice de Dieu, trompent celle des hommes et croient se justifier contre leurs accusateurs, en invoquant le patronage de la fortune. Ne la représentent-ils pas néanmoins, ne la peignent-ils pas aveugle, et ne semblent-ils pas dire ainsi qu’ils valent mieux que cette même fortune par laquelle ils se prétendent dirigés, ou qu’ils forment et expriment leur opinion d’une manière aussi aveugle qu’elle ? Et quand ils ne font que des faux pas, n’est-on pas autorisé à penser que comme elle ils marchent au hasard ? Mais cette erreur, où l’œil ne peut distinguer que démence et folie, a été suffisamment réfutée, je crois, dans notre premier entretien. Il en est d’autres qui n’osent nier que la providence de Dieu s’occupe de la vie humaine ; mais dans leur indicible égarement, ils aiment mieux croire à l’impuissance, ou à l’injustice, ou à la perversité de cette Providence, que de confesser leur faute avec une piété suppliante. Ah ! si tous consentaient à se laisser convaincre que la bonté, la justice et la puissance de ce Dieu, qu’ils considèrent comme le meilleur, le plus juste et le plus puissant de tous les êtres, sont bien élevées au-dessus de tout ce qu’ils peuvent concevoir ; si, se contemplant eux-mêmes, ils comprenaient qu’ils devraient encore des actions de grâces à Dieu, lors même qu’il leur aurait donné un être inférieur à celui qu’ils ont ; s’ils criaient de tout leur cœur et de toutes les forces de leur conscience : « J’ai dit, Seigneur, ayez pitié de moi, prenez soin de mon âme, car j’ai péché contre vous (1) ; » la divine miséricorde les mènerait à la sagesse par des chemins si sûrs, que sans s’enorgueillir d’avoir découvert et sans se troubler d’ignorer encore, ce qu’ils sauraient les rendrait plus capables de voir, et ce qu’ils ignoraient, plus calmes pour chercher. Pour toi qui ne doutes, je pense, d’aucune de ces vérités, considère avec quelle facilité je résous une aussi importante question. Réponds d’abord à quelques demandes préliminaires que je vais t’adresser.



CHAPITRE III. LA PRESCIENCE DE DIEU NE NOUS OTE POINT LA LIBERTÉ DE PÉCHER.

6. Ce qui te surprend, ce qui t’étonne, c’est qu’il n’y ait ni contradiction ni opposition à admettre, d’une part, que Dieu connaisse tout ce qui doit arriver ; et d’autre part, que nous ne péchions pas nécessairement, mais volontairement. Si Dieu sait qu’un homme doit pécher, dis-tu, il est nécessaire qu’il pèche ; mais s’il est nécessaire qu’il pèche, il n’est donc pas libre en péchant, il est sous l’empire d’une inévitable et immuable nécessité. Et ce que tu crains, c’est que ce raisonnement n’entraîne à nier la prescience divine, ce qui ne peut se faire sans impiété, ou bien s’il est impossible de la nier, à avouer que les péchés ne sont pas l’œuvre de la volonté, mais de la nécessité, Y a-t-il autre chose qui t’embarrasse ? — E. Rien pour le moment. A. Tu crois donc que c’est la nécessité et non la volonté qui fait tout ce que Dieu sait d’avance ? — E. Je le crois certainement. — A. Réveille-toi enfin, étudie-toi un peu. Es-tu ca. pable de me dire quelle volonté tu auras de. main, si c’est la volonté de bien faire ou de mal faire ? — E. Je l’ignore. — A. Et Dieu ? l’ignore-t-il également ? — E. Je ne le pense pas

1. Ps. XV,5.