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CHAPITRE IX. EN QUOI CONSISTE LA SAGESSE, SANS LAQUELLE PERSONNE N’EST HEUREUX.— EST-ELLE LA MÊME DANS TOUS LES SAGES ?

25. Maintenant je te demande ce qu’il faut, selon toi, penser de la sagesse elle-même. Es-tu d’avis que chaque homme a sa sagesse à lui ? ou bien crois-tu qu’il n’y en a qu’une et qu’elle est en commun à la disposition de tous, telle enfin que plus on y participe, plus on est sage ? — E. Je ne sais pas encore ce que tu appelleras sagesse. Je vois en effet les hommes apprécier diversement le nom et la chose. Les uns embrassent l’état militaire et croient agir sagement, les autres méprisant cet état pour consacrer tous leurs soins et leurs occupations à l’agriculture, louent de préférence ce parti qu’ils prennent et l’attribuent à la sagesse. Les hommes habiles à inventer des moyens de gagner de l’argent se croient sages, ceux qui négligent toutes ces choses ou qui les rejettent, aussi bien que toutes les affaires temporelles, pour reporter toute leur ardeur à la recherche de la vérité dans le but de connaître Dieu et de se connaître eux-mêmes, jugent que c’est en cela que consiste la grande fonction de la sagesse. D’autres ne veulent point se livrer à cette contemplation et recherche de la vérité, mais préfèrent les charges et les emplois les plus laborieux pour être utiles aux hommes, et s’occupent à diriger et gouverner les choses humaines ; ceux-là aussi s’estiment sages. D’autres enfin prennent à la fois ces deux derniers, et partagent leur vie entre la contemplation de la vérité et les travaux qu’ils estiment profitables à la société humaine ; ces derniers croient tenir dans leurs mains la palme de la sagesse. Je ne parle pas de ces innombrables sectes, dont pas une ne se fait faute de préférer ses partisans à tous les autres, et de prétendre qu’ils sont les seuls sages. Puis donc qu’il est convenu entre nous que nos réponses doivent rouler, non sur ce que nous croyons, mais sur ce que nous saisissons clairement par l’intelligence, je ne pourrai aucunement répondre à ta question avant de me rendre compte de ce que je crois, par l’examen et la lumière de la raison, avant de savoir en quoi consiste cette sagesse dont nous parlons. 26. A. Penses-tu que la sagesse soit autre que la vérité, où se contemple et se possède le souverain bien ? En effet, tous les hommes que tu viens d’énumérer, et qui sont à la poursuite de tant d’objets, désirent le bien et fuient le mal ; mais ils recherchent des objets différents, parce qu’ils ont des idées différentes sur le bien. Ainsi, quiconque désire ce qui n’était pas à désirer, ne le désirerait pas s’il ne croyait y voir le bien ; toutefois il est dans l’erreur. Ceux-là seuls ne peuvent errer qui ne désirent rien, ou qui désirent ce qu’ils doivent désirer. Les hommes n’errent donc pas en tant qu’ils désirent tous la vie bienheureuse ; ils errent seulement en tant qu’ils ne suivent pas le chemin de la vie qui conduit au bonheur, tout en avouant et en proclamant qu’ils n’ont pas d’autre volonté que d’y parvenir. Car errer, c’est suivre un chemin qui ne nous conduit pas où nous voulons aller. En outre, plus on erre dans le champ de la vie, moins on est sage ; puisqu’alors on est d’autant plus éloigné de la vérité, où l’on trouve la connaissance et la possession du souverain Bien. Or, l’acquisition et la possession du souverain Bien donnent le bonheur, que nous voulons tous sans conteste. Si donc il est certain que nous voulons être heureux, il est certain aussi que nous voulons être sages, parce que personne ne peut être heureux sans la sagesse. En effet, personne n’est heureux que par le souverain Bien dont la vue et la possession se trouvent dans cette vérité que nous appelons la sagesse. De même donc que, avant d’être heureux, la notion du bonheur est imprimée dans nos esprits, puisque c’est elle qui nous fait savoir et dire avec confiance et sans ombre de doute que nous voulons être heureux ; de même aussi avant d’être sages, nous avons, imprimée dans nos esprits, la notion de la sagesse, et c’est à cause de cette notion que tout homme à qui l’on demande s’il veut être sage répond de même et sans ombre de doute, qu’il veut l’être. 27. Ainsi nous sommes maintenant d’accord sur la nature de la sagesse ; et ce sont les paroles seulement qui te manquaient pour l’expliquer toi-même ; car ton esprit la comprenait en quelque manière, autrement tu n’aurais pas pu savoir et que tu as la volonté d’être sage, et que tu dois avoir cette volonté, deux choses que tu ne nieras certainement pas. Il est