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nature ; et au contraire, il faut appeler choses communes et comme publiques, les choses que tous ceux qui les sentent perçoivent sans les corrompre et sans les transformer. — E. C’est cela.



CHAPITRE VIII. LE RAPPORT DES NOMBRES N’EST PERÇU PAR AUCUN DES SENS CORPORELS. — IL EST UN ET IMMUABLE POUR TOUTES LES INTELLIGENCES QUI LE PERÇOIVENT.

20. A. Avance maintenant, prête attention, et dis-moi s’il se trouve une chose que tous ceux qui raisonnent voient en commun, chacun avec son intelligence et sa pensée ; une chose qui soit à la disposition de tous ceux qui la voient, sans que ceux qui l’ont à leur disposition puissent la changer en en faisant usage, comme il arrive pour le manger et le boire ; une chose qui demeure inaltérée et entière, soit qu’ils la voient, soit qu’ils ne la voient pas, ou penses-tu qu’il n’y ait rien qui présente ces caractères ? — E. J’en vois beaucoup, au contraire. Il suffit d’en mentionner une seule : le rapport, la vérité des nombres. Elle est à la disposition de tous ceux qui raisonnent ; chaque calculateur s’efforce de la saisir par sa raison et son intelligence ; les uns le peuvent plus facilement, les autres plus difficilement, d’autres ne le peuvent pas du tout ; cependant elle se montre également à tous ceux qui peuvent la comprendre ; lorsque quelqu’un la perçoit, elle n’est ni changée ni transformée en lui, comme il en arrive pour les aliments ; si quelqu’un se trompe à son sujet, elle ne subit elle-même aucune défaillance, mais tandis qu’elle demeure dans sa vérité et son intégrité, celui qui s’y trompe est d’autant plus dans l’erreur qu’il la voit moins bien. 21. A. C’est parfaitement dit, en vérité ; et je vois que tu as trouvé promptement de quoi répondre, comme un homme qui n’est pas étranger à ces matières. Alors si quelqu’un venait te dire que l’impression de ces nombres dans notre esprit ne résulte pas de leur nature, mais des choses que nous saisissons par les sens corporels, et qu’ils sont en nous comme des images des choses visibles, que répondrais-tu, ou serais-tu toi-même de cet avis. — E. Jamais je ne serai de ce sentiment. Car si j’avais eu la perception des nombres par bues sens corporels, c’est par ces mêmes sens que j’aurais pu arriver aussi à la perception de la division et de l’addition des nombres. Mais c’est par la lumière de mon esprit que je redresse celui qui, en calculant une addition ou une soustraction, me dénonce un résultat faux. De plus, tout ce que saisissent mes sens corporels, ce ciel, cette terre et tous les corps qu’ils renferment et que perçoivent mes sens, combien de temps dureront-ils ? je n’en sais rien. Mais sept et trois font dix, et non-seulement maintenant, mais toujours ; il n’y a eu aucune époque où sept et trois n’aient pas fait dix ; il ne viendra aucun temps où sept et trois cesseront de faire dix. J’ai donc bien dit que cette inaltérable vérité du nombre est commune à moi et à tous ceux qui raisonnent. 22. A. Je ne conteste pas ta réponse ; elle énonce des choses parfaitement vraies et certaines. Mais en réfléchissant à la formation des nombres eux-mêmes, tu verras facilement que nous n’en avons pas acquis la connaissance au moyen des sens corporels. En effet, tout nombre tire son nom du nombre de fois qu’il contient l’unité. S’il la contient deux fois, il s’appelle deux ; trois fois, il s’appelle trois ; s’il la renferme dix fois, il s’appelle dix ; tous les nombres sans exception tirent leur nom de là, et chacun d’eux se nomme tant de fois l’unité. Mais quiconque fixe sa pensée sur la vraie notion de l’unité, trouve sans difficulté qu’elle ne peut être perçue par les sens corporels. En effet, quelque objet gaie saisissent les sens, toujours il accuse non l’unité, mais la pluralité ; car cet objet est un corps, et par conséquent il a d’innombrables parties. Pour éviter de passer en revue les corps les plus petits et les moins articulés, je dis qu’un corps,, si petit qu’il soit, a toujours une partie à droite et une à gauche ; haut et bas, devant et derrière, extrémités et milieu ; nous sommes forcés d’avouer que tout cela se trouve dans le corps le plus exigu dans ses proportions ; c’est pour cela que nous n’accordons pas qu’aucun corps soit vraiment et purement un, tout en remarquant qu’on n’y pourrait compter cette pluralité sans la discerner au moyen de la connaissance de l’unité même. Et vraiment lorsque je cherche l’unité dans un corps, et que je suis sûr de ne l’y pas trouver, je connais certainement ce que je cherche, ce que je n’y trouve pas, ce qu’on ne peut y trouver ; disons mieux, ce qui n’y est absolument pas. Donc, dès que je sais qu’il n’existe pas de corps un, je sais ce que c’est