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l’aime d’un grand amour, puisque c’est en la suivant qu’il jouit de cette vie. — A. Mais quoi ? en aimant cette loi, est-ce quelque chose de variable et de temporel ou quelque chose de stable et d’éternel qu’il aime ? — E. D’éternel et d’immuable, assurément. — A. Et ceux qui persévérant dans la mauvaise volonté désirent néanmoins être heureux, peuvent-ils aimer cette loi en vertu de laquelle la misère est justement le partage de tels hommes ? — E. En aucune façon, je pense. — A. Et n’aiment-ils rien autre chose ? — E. Ils aiment beaucoup d’autres choses, ils aiment tout ce que cette mauvaise volonté persiste à vouloir acquérir ou conserver. — A. Je pense que tu veux parler des richesses, des honneurs, des plaisirs, de la beauté du corps et de tout le reste ; qu’ils peuvent très bien ne pas acquérir quand ils le veulent et perdre quand ils ne le veulent pas. — E. C’est cela même. — A. Estimes-tu qu’elles soient éternelles, ces choses que tu vois exposées à la mobilité du temps ? — E. Quel homme, fût-il en démence, voudrait le soutenir ? — A. Il est donc manifeste qu’il y a des hommes aimant les choses éternelles, et d’autres les choses temporelles ; d’un autre côté, nous sommes d’accord qu’il existe deux lois, l’une éternelle, l’autre temporelle : avec ton sens droit, dis-moi, lesquels doivent être soumis à la loi éternelle, lesquels à la loi temporelle ? — E. Il est facile, je crois, de répondre à ta question. Ceux que l’amour des choses éternelles rend heureux me paraissent vivre sous la loi éternelle, tandis que les misérables sont sous le joug de la loi temporelle. — A. C’est bien jugé, pourvu toutefois que tu tiennes comme certain ce qui a été très-clairement démontré plus haut, à savoir que ceux qui sont sous le joug de la loi temporelle ne peuvent être affranchis de la loi éternelle, qui exprime comme nous l’avons dit, tout ce qui est juste et tout ce qui varie avec justice. Quant à ceux qui s’attachent à la loi éternelle par la bonne volonté, ils n’ont pas besoin de la loi temporelle ; je vois que tu le comprends de reste. — E. Je te suis. 32. A. La loi éternelle ordonne donc de détourner son amour des choses temporelles, et de le tourner purifié vers les biens éternels ? — E. Elle l’ordonne. — A. Que penses-tu ensuite qu’ordonne la loi temporelle ? N’a-t-elle pas pour objet de régler la possession de ces choses, qu’on peut appeler nôtres pour un temps, et de la régler parmi des hommes qui s’y attachent avec passion, de telle sorte que la paix et la société humaines, puissent être conservées autant que le comporte cette sorte de bien ? Enumérons-les : d’abord ce corps et ce qu’on appelle ses biens, c’est-à-dire la bonne santé, l’intégrité des sens, les forces, la beauté et les autres qualités, dont les unes sont nécessaires aux arts utiles et par conséquent plus estimables, et les autres moins. Vient ensuite la liberté ; elle n’existe vraiment que chez les heureux, les partisans de la loi éternelle ; mais je mentionne ici cette liberté, en vertu de laquelle ceux qui n’ont point de maîtres humains se croient libres, et que désirent ceux qui voudraient être affranchis par les leurs. Puis les parents, les frères, l’épouse, les enfants, les proches, les alliés, les connaissances et tous ceux qui nous sont unis par quelque lien. Il y a aussi la patrie, qu’on a coutume de regarder comme une mère, avec les honneurs, les louanges et ce qu’on appelle la gloire populaire. En dernière ligne arrive l’argent ; et sous ce nom il faut comprendre toutes les choses dont nous sommes les légitimes propriétaires et que nous semblons avoir le pouvoir de vendre ou de donner. Comment la loi humaine règle toutes ces choses entre les hommes, ce serait un long et difficile détail à faire, et il n’est nullement nécessaire au but que nous nous proposons. Il suffit de voir que la puissance de cette loi humaine se borne dans sa pénalité à priver celui qu’elle punit de tout ou partie de ces biens. C’est donc par la crainte qu’elle réprime, et qu’elle soumet à sa volonté en les tourmentant de diverses manières, les âmes des misérables au gouvernement desquelles elle est adaptée. En effet, comme ils craignent de perdre ces choses, ils se conforment, en les possédant, à de certaines règles propres à former un lien de société, tel qu’il peut exister entre des hommes de cette sorte. Mais cette loi ne punit pas le péché qui consiste à aimer ces choses, elle ne punit que l’improbité de ceux qui les ravissent aux autres. Vois donc si nous sommes arrivés à ce que tu appelais l’infini ; car nous avions entrepris de rechercher en vertu de quel droit elle punit, cette loi qui régit les peuples et les cités terrestres. — E. Je vois que nous y sommes arrivés. 33. A. Vois-tu aussi que la peine n’existerait