Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/341

Cette page n’a pas encore été corrigée

rappelles la définition que nous avons donnée de la bonne volonté : Nous avons dit, je pense, qu’elle consiste à désirer une vie droite et honnête. — E. Je m’en souviens. — A. Si donc nous aimons cette volonté, et si nous nous y attachons de tout l’élan de notre bonne volonté même, au point de la préférer à toutes ces choses que nous ne pouvons conserver, lors même que nous le voulons, notre âme sera nécessairement le séjour de ces vertus qui constituent, comme nous l’avons vu, la vie droite et. honnête. D’où nous concluons que quiconque veut vivre d’une vie droite et honnête, et préférer cette volonté aux biens passagers, arrivera à son but avec une facilité si, grande, que vouloir et avoir seront pour lui la même chose[1]. — E. Je te le dis en vérité, c’est à peine si je puis contenir une exclamation de joie, en voyant tout à coup se révéler à moi un bien si grand et si facile à acquérir. — A. Eh bien ! cette joie même que cause la conquête de ce grand bien, lorsqu’elle tient l’âme élevée dans la tranquillité, le repos et la constance ; cette joie est ce qu’on appelle la vie heureuse, car cette vie n’est pas autre chose, sans doute, que la jouissance des biens véritables et assurés. — E. Je le pense ainsi.



CHAPITRE XIV. POURQUOI IL Y A PEU D’HOMMES HEUREUX QUAND TOUS VOUDRAIENT L’ÊTRE.

30. A. C’est bien. Mais penses-tu que tous les hommes ne veulent pas et ne désirent pas de toute manière la vie heureuse ? — E. Qui doute que chaque homme n’ait cette volonté ? — A. Pourquoi donc tous n’y arrivent-ils pas ? Car nous l’avons dit, et nous en sommes tombés d’accord ; c’est par la volonté que les hommes méritent cette vie ; par la volonté aussi ils arrivent à la vie misérable, et ainsi ils n’ont que ce qu’ils méritent : mais voici maintenant je ne sais quelle contradiction qui tend à troubler les idées si bien éveillées tout à l’heure, et nos raisonnements si fortement appuyés. Comment se fait-il que quelqu’un souffre la. vie misérable par sa volonté ; puisque personne au monde n’a la volonté de vivre misérablement ; et encore, comment se fait-il qu’un homme acquiert la vie heureuse par sa volonté, quand il y en a


tant de misérables, et que tous veulent être heureux ? Cela ne viendrait-il pas de ce qu’il y a une différence entre vouloir bien ou mal, et mériter quelque chose par la bonne ou la mauvaise volonté ? En effet, ceux qui sont heureux et qui doivent aussi être bons, rie sont pas heureux par cela seul, qu’ils ont voulu la vie heureuse, puisque les méchants la veulent aussi ; mais bien parce qu’ils l’ont voulue avec droiture, tandis que les méchants ne la veulent pas de même. C’est pourquoi il n’est nullement étonnant que les hommes misérables n’obtiennent pas ce qu’ils veulent, c’est-à-dire la vie heureuse ; car ils ne veulent vraiment pas sa compagne nécessaire, celle sans laquelle personne n’en est digne, personne ne l’obtient, c’est-à-dire la vie droite. Ainsi l’a établi dans son immuable fixité la loi éternelle, à laquelle il est temps de revenir : c’est dans la volonté qu’est le mérite, mais c’est dans la béatitude et la misère que sont la récompense et le supplice (1). Ainsi ; quand nous disons que les hommes sont misérables par la volonté, nous ne disons pas pour cela qu’ils veulent être misérables, mais qu’ils ont une volonté telle, que la misère s’ensuit nécessairement malgré eux ; c’est pourquoi il n’y a point de contradiction entre ce raisonnement et le précédent, tous veulent être heureux et tous ne peuvent l’être, parce que tous n’ont pas la volonté de vivre avec droiture, et qu’à cette volonté seule est due la vie heureuse. As-tu quelque chose à objecter ? — E. Rien absolument.


CHAPITRE XV. QUELLE EST LA VALEUR RESPECTIVE DE LA LOI ÉTERNELLE ET DE LA LOI TEMPORELLE, ET QUI SONT CEUX QUI LEUR SONT SOUMIS.

31. Voyons maintenant comment ces deux considérations se rattachent à la question des deux lois. — A. Volontiers, mais dis-moi auparavant : celui qui aime la vie droite et qui en fait ses délices au point que non-seulement pour lui elle est le bien, mais encore le plaisir et la joie, aime-t-il cette loi, et la chérit-il par-dessus tout, en voyant que la vie heureuse est accordée à la bonne volonté, tandis que la vie misérable est le prix de la mauvaise ? — E. Sans doute il l’aime, et il

Ret. liv. I, ch. IX, n. 3.

  1. 1. Réf. liv. I, ch. IX, n. 3.