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CONTRE LES ACADÉMICIENS.

LIVRE PREMIER.
Après avoir exhorté Romanien à l’étude de la vraie philosophie ; saint Augustin met aux prises Licentius, fils de Romanien, et Trygétius. — Dans trois discussions qui se suivent, l’un soutient avec les Académiciens que la vie heureuse consiste à rechercher la vérité, et l’autre travaille à démontrer qu’on ne saurait être heureux qu’en connaissant la vérité. — L’ordre de la dispute amène la double définition de l’erreur et de la sagesse. — Le grand Docteur s’étend longuement sur cette dernière.

CHAPITRE PREMIER.
SAINT AUGUSTIN EXHORTE ROMANIEN À L’ÉTUDE DE LA VRAIE PHILOSOPHIE.

1. Plût à Dieu, Romanien, que la vertu pût à son tour enlever à la fortune et à ses résistances l’homme qui lui convient, aussi aisément qu’elle empêche la fortune de le lui enlever à elle-même ! Ah ! j’en suis persuadé, elle eût déjà mis la main sur toi, et, proclamant que tu lui appartiens, elle te mènerait à à la jouissance des biens solides, et ne permettrait plus que tu fusses esclave, même dans d’heureux accidents. Mais, soit châtiment de nos fautes, soit nécessité de notre nature[1], l’esprit le plus sublime, s’il conserve quelque attache aux biens fragiles, ne peut aborder au port de la vraie sagesse, pour y être à l’abri des orages de la mauvaise fortune et des séductions de la prospérité, à moins quelque disgrâce secrète ou même quelque vent favorable ne l’y fasse entrer. Il ne nous reste donc plus qu’à supplier le Seigneur, qui préside à ces destinées, de te rendre enfin à toi-même ; c’est le moyen facile de te rendre également à nous qu’il daigne aussi permettre que ton intelligence, qui, depuis si longtemps soupire après sa délivrance, respire enfin au grand air de la vraie liberté.

Peut-être, en effet, ce qu’on appelle communément la fortune est-il soumis à un gouvernement secret ; peut-être donnons-nous le nom de hasard aux événements dont nous ne découvrons ni la cause ni la raison[2] ; et rien de particulier n’arrive en bien ou en mal, qui n’ait sa relation et son accord avec l’ensemble. Ce sentiment est enseigné par les oracles des doctrines les plus fécondes ; il n’est pas accessible aux intelligences vulgaires ; mais la philosophie à laquelle je t’invite, promet d’en démontrer la vérité à ses vrais amis. Ne te méprise donc pas toi-même parce qu’il arrive des accidents indignes de toi. S’il est vrai, et on n’en peut douter, que la Providence divine s’étende jusqu’à nous, crois-moi, il est nécessaire que tu éprouves ce qui t’arrive. En effet, lorsque dès ta jeunesse, aux jours où ta raison chancelait encore, tu es entré, doué de cet excel-

  1. Rétr. liv. I, ch. i, n. 2.
  2. Rétr. lib. I, ch. i, n. 2.