1. Plût à Dieu, Romanien, que la vertu pût à son tour enlever à la fortune et à ses résistances l’homme qui lui convient, aussi aisément qu’elle empêche la fortune de le lui enlever à elle-même ! Ah ! j’en suis persuadé, elle eût déjà mis la main sur toi, et, proclamant que tu lui appartiens, elle te mènerait à à la jouissance des biens solides, et ne permettrait plus que tu fusses esclave, même dans d’heureux accidents. Mais, soit châtiment de nos fautes, soit nécessité de notre nature[1], l’esprit le plus sublime, s’il conserve quelque attache aux biens fragiles, ne peut aborder au port de la vraie sagesse, pour y être à l’abri des orages de la mauvaise fortune et des séductions de la prospérité, à moins quelque disgrâce secrète ou même quelque vent favorable ne l’y fasse entrer. Il ne nous reste donc plus qu’à supplier le Seigneur, qui préside à ces destinées, de te rendre enfin à toi-même ; c’est le moyen facile de te rendre également à nous qu’il daigne aussi permettre que ton intelligence, qui, depuis si longtemps soupire après sa délivrance, respire enfin au grand air de la vraie liberté.
Peut-être, en effet, ce qu’on appelle communément la fortune est-il soumis à un gouvernement secret ; peut-être donnons-nous le nom de hasard aux événements dont nous ne découvrons ni la cause ni la raison[2] ; et rien de particulier n’arrive en bien ou en mal, qui n’ait sa relation et son accord avec l’ensemble. Ce sentiment est enseigné par les oracles des doctrines les plus fécondes ; il n’est pas accessible aux intelligences vulgaires ; mais la philosophie à laquelle je t’invite, promet d’en démontrer la vérité à ses vrais amis. Ne te méprise donc pas toi-même parce qu’il arrive des accidents indignes de toi. S’il est vrai, et on n’en peut douter, que la Providence divine s’étende jusqu’à nous, crois-moi, il est nécessaire que tu éprouves ce qui t’arrive. En effet, lorsque dès ta jeunesse, aux jours où ta raison chancelait encore, tu es entré, doué de cet excel-