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LIVRE SECOND.


rien ne peut arriver sans Dieu et comment Dieu faisant tout avec ordre ce n’est pourtant pas en vain qu’on l’implore ? Comment enfin l’homme juste s’étonnera-t-il des charges, des dangers, des dégoûts et des caresses de la fortune ? Dans ce monde sensible il faut, il est vrai, considérer avec soin ce qu’on entend par le temps et par le lieu ; comprendre que s’il est dans un temps ou dans un lieu des parties qui plaisent, le tout est bien plus agréable encore ; et que s’il est des parties qui blessent, c’est uniquement, comme le remarque un homme éclairé, parce que l’on ne voit pas le tout avec lequel elles s’harmonisent merveilleusement. Mais dans ce monde intelligible, chaque partie est aussi belle et aussi parfaite que l’ensemble.

Nous traiterons plus complètement ces questions, pourvu que vous entrepreniez de suivre dans vos études et que vous suiviez sérieusement et avec constance, comme je vous y engage et comme je l’espère, l’ordre que nous venons de rappeler. Vous pourriez peut-être aussi vous attacher à un autre qui fût plus court et plus facile : mais il faut qu’il conduise directement au but.

CHAPITRE XX.
CONCLUSION ET EXHORTATION À LA VERTU.

52. Pour y parvenir, appliquons-nous de toutes nos forces à améliorer notre vie : autrement notre Dieu ne pourra nous exaucer, tandis qu’il exauce aisément ceux dont la vie est bonne[1]. Prions donc, non pour obtenir les richesses, les honneurs, ni ces biens fragiles et périssables qu’aucun effort ne peut conserver, mais pour obtenir ce qui nous rend bons et heureux.

À toi surtout, ma mère, de mériter pour nous l’accomplissement généreux de ces désirs. C’est à tes prières, je le crois sans hésiter et je le certifie, que Dieu m’a accordé de ne préférer absolument rien à la découverte de la vérité, de ne vouloir, de ne chercher, de n’aimer qu’elle. Aussi je ne cesse de croire qu’après nous avoir obtenu par les mérites le désir d’un bien si grand, tu nous en obtiendras encore, par tes prières, l’heureuse jouissance.

Et toi, Alype, pourquoi l’exciter, l’avertir ? Si ton ardeur ne me paraît pas trop vive, c’est que loin d’être excessif, l’amour le plus enflammé pour ces sortes de biens ne l’est jamais assez.

53. Prenant alors la parole : Quelquefois, dit Alype, la mémoire des savants et des grands hommes nous a paru d’une incroyable étendue : mais tes réflexions de chaque jour et l’admiration que maintenant tu excites en nous, ne nous permettent plus de le révoquer en doute ; nous pourrions même au besoin jurer qu’elle est prodigieuse. Ne viens-tu pas en effet de nous mettre en quelque sorte sous les yeux, cette doctrine vénérable et presque divine, que l’on a eu raison d’attribuer à Pythagore et qui est sûrement de lui[2] ? Tu nous as montré en peu de mots quelles règles doivent diriger notre vie, quels chemins nous doivent conduire à la science, ou plutôt quelles sont les plaines et les vastes mers où elle prend ses ébats ; tu nous as même fait connaître, ce qui a inspiré pour ce philosophe un si profond respect, où est et quel est le sanctuaire de la vérité, ce qu’il faut être pour chercher à y pénétrer. Si complet que soit aujourd’hui ton enseignement, nous soupçonnons, nous croyons même que tu connais encore des secrets plus intimes ; mais nous manquerions de réserve, en croyant devoir te demander davantage.

54. Je t’écoute avec joie, repris-je. Car ce qui me plaît, ce qui m’encourage, ce ne sont point tes paroles qui manquent de vérité, mais l’affection sincère dont elles sont l’expression. Et justement nous avons dessein d’envoyer cet écrit à un homme qui a aussi l’habitude de dire avec plaisir beaucoup de mensonges quand il parle de nous. Si d’autres viennent à le lire, je ne crains pas non plus qu’ils te blâment. Qui ne pardonne volontiers l’erreur où l’on tombe en jugeant un ami ?

En faisant mention de Pythagore, tu as obéi à je ne sais quel ordre secret et divin. J’avais effectivement oublié une chose fort importante et que je loue presque chaque jour, tu le sais[3] : c’est que, s’il faut ajouter foi à l’histoire, et comment n’en pas croire Varron ? ce grand homme n’enseignait qu’en dernier lieu la science du gouvernement ; il voulait auparavant que ses disciples fussent déjà instruits, déjà parfaits, déjà sages, déjà heureux. Il voyait dans le gouvernement de tels orages, qu’il ne

  1. Rét., liv. III, n. 3.
  2. Rét., liv. I, chap. 3, n. 3.
  3. Rét., liv. I, chap. 3, n. 3.