Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
DE L’ORDRE.

CHAPITRE IX.
DEUXIÈME DISCUSSION. — L’ORDRE CONDUIT À DIEU.

27. Le lendemain de grand matin, nous allâmes gaiement nous asseoir au lieu accoutumé de nos réunions. Et comme ils étaient l’un et l’autre attentifs, je commençai. Approche-toi, Licentius, autant que tu pourras, et toi aussi Trygélius, notre sujet n’est pas sans importance, nous sommes à la recherche de l’ordre. Faut-il maintenant que je vous fasse de l’ordre un éloge long et pompeux, comme si j’étais encore dans cette chaire à laquelle je me félicite d’être échappé, peu importe de quelle manière ? Écoutez si vous voulez, tâchez même de le vouloir, la louange la plus courte et selon moi, la plus vraie que l’on puisse faire d’un tel sujet. C’est l’ordre qui nous conduit à Dieu si nous le suivons en cette vie, et si nous ne le suivons point en cette vie, nous n’arriverons pas à Dieu. Or, si je ne me trompe à votre égard, nous avons la présomption et l’espérance d’y arriver un jour. Il faut donc mettre tous nos soins à traiter cette question entre nous et à la résoudre.

Je voudrais voir ici ceux qui d’ordinaire s’occupent avec nous de semblables sujets. Je voudrais, s’il était possible, non-seulement les voir ici, mais y voir encore aussi attentifs que vous, au moins tous nos amis, dont j’admire souvent le génie, Zénobius surtout, qui m’a provoqué sur ce profond sujet, et à qui je n’ai pas eu le loisir de répondre suffisamment. Mais comme ils ne sont pas ici, ils liront nos écrits, car nous sommes résolus de ne perdre pas ces conversations et de fixer par l’écriture, comme par un lien qui les rappellera dans notre mémoire, les choses qui lui échappent trop facilement. C’est peut-être ce que demandait l’ordre en permettant leur absence. Car votre esprit se dresse avec une attention plus vive, en voyant que seuls nous sommes chargés de traiter de si graves questions ; et quand ces amis, qui nous intéressent vivement, nous liront, s’ils trouvent des difficultés à nous opposer, ce sera une matière à d’autres discussions ; elles naîtront de celles-ci, et la suite même de nos entretiens se prêtera à l’ordre de l’enseignement. Maintenant donc, comme je l’ai promis, j’argumenterai contre Licentius, autant que le permettra le sujet ; déjà il a presque achevé toute sa thèse ; voyons s’il pourra l’environner d’une forte et solide muraille de défense.


CHAPITRE X.
QU’EST-CE QUE L’ORDRE ? COMMENT IL FAUT COMPRIMER LES MOUVEMENTS DE RIVALITÉ ET DE VAINE OSTENTATION, DANS LES JEUNES GENS QUI ÉTUDIENT LES LETTRES.

28. Quand leur silence, leur air, leurs yeux, l’attitude et l’immobilité de leurs membres m’eurent démontré que l’importance du sujet les avait émus, et qu’ils brûlaient du désir de m’entendre : Donc Licentius, dis-je en commençant, si bon te semble, ramasse en toi toutes les forces que tu pourras, aiguise tout ce que tu as de pénétration, et renferme dans une définition tout ce qu’est l’ordre. Se voyant forcé de définir, il frissonna comme sous une douche d’eau froide, et me jetant un regard troublé, souriant même comme on le fait alors, d’un sourire craintif : Qu’est-ce que cela, dit-il ? que suis-je à tes yeux ? Ne sais-je pas vraiment à quel esprit d’aventure tu me crois livré ? Et s’animant tout à coup : Peut-être, ajouta-t-il, ai-je quelque chose en moi ? Puis il se tut un moment pour faire entrer dans sa définition tout ce qu’il connaissait sur la nature de l’ordre. Se dressant ensuite : L’ordre, dit-il, est ce qui conduit tout ce que Dieu fait.

29. Quoi, répondis-je, Dieu ne te paraît-il point être conduit par l’ordre ? — Je le crois assurément, répliqua-t-il. — Donc Dieu est gouverné, dit Trygétius. — Mais lui : Tu nies alors que le Christ soit Dieu ? car il est venu par ordre jusqu’à nous, et il se dit envoyé par Dieu, son père ? Si donc c’est par un ordre que Dieu nous a envoyé son Christ, et si nous ne nions pas que le Christ soit Dieu, non-seulement Dieu conduit tout, mais lui-même est conduit par l’ordre. — Alors Trygétius avec hésitation : Je ne sais, dit-il, comment entendre cela, car au nom de Dieu, ce n’est pas le Christ qui semble nous venir à l’esprit, mais le Père ; c’est le Christ au contraire, quand nous nommons le Fils de Dieu. — Belle distinction que tu nous fais-là, dit Licentius ! Il faut donc nier que le Fils de Dieu soit Dieu ? Celui-ci voyait un danger à répondre, cependant il se surmonta. — À la vérité il est Dieu, dit-il, et néan-