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pensée véritable ; et nous serions promptement d’accord, s’il nous était donné de voir cette pensée qu’avec des paroles et des explications on n’a pu nous montrer encore. La définition est, dit-on, le remède à cette erreur, et si dans la question présente on définissait ce que l’on entend par vertu, il serait manifeste qu’il n’y a point controverse sur le fond, mais sur un mot. J’y consens ; mais combien peut-on trouver d’esprits qui soient capables de bien définir ? N’a-t-on pas aussi combattu souvent les définitions en général ? Ce n’est pas le lieu d’en parler, et je ne partage aucunement cet avis.

44. Je n’observe pas que fréquemment nous entendons mal, et qu’il nous arrive de contester longuement comme si nous avions parfaitement entendu. C’est ainsi que dernièrement lorsque j’eus désigné la compassion en langue punique, tu prétendis avoir appris, des plus entendus dans cette langue, que l’expression employée par moi signifiait la piété. Je résistai, je soutins que tu avais entièrement oublié ce que tu avais appris ; je croyais que tu avais nommé la foi et non la piété, car tu étais fort près de moi et ces deux mots présentent des consonnances trop diverses pour tromper l’oreille. Ignorant ce que tu avais dit réellement, je fus longtemps à croire que tu ignorais aussi ce que tu avais entendu. Car si je t’avais bien écouté, il ne m’aurait point paru absurde que le même terme exprimât en langue punique la piété et la compassion. Ces méprises se renouvellent fréquemment ; mais n’en parlons point. On pourrait croire que je reproche au langage la négligence ou la surdité de ceux qui l’écoutent : il est plus douloureux de ne pouvoir, comme je l’ai dit plus haut, connaître la pensée de celui qui nous parle, lors même que nous entendons clairement ses paroles et qu’il s’énonce dans la même langue que nous.

Chapitre XIV. L’Homme parle au dehors, le Christ enseigne au dedans.

45. J’admets qu’après avoir bien entendu et bien compris, on puisse savoir que le langage est conforme à la pensée. Je ne parle point de ce cas ; mais s’ensuit-il, comme nous l’examinons ici, que l’on apprend alors si ce langage est vrai ? Les maîtres prétendent-ils communiquer leurs propres sentiments ? Ne veulent-ils pas que l’on s’applique plutôt à comprendre et à retenir les Sciences qu’ils croient faire connaître ? Et qui serait assez follement curieux pour envoyer son fils apprendre, dans une école, ce que pense le maître ? Quand celui-ci a expliqué dans ses leçons les matières qu’il fait profession d’enseigner, les règles mêmes de la vertu et de la sagesse ; c’est alors que ses disciples examinent en eux-mêmes s’il leur a dit vrai, consultant, comme ils peuvent, la vérité intérieure. C’est donc alors qu’ils apprennent. Reconnaissent-ils que l’enseignement est vrai ? ils le louent ; mais ils ignorent que les maîtres à qui s’adressent leurs louanges sont plutôt enseignés qu’enseignants, pourvu toutefois qu’ils comprennent eux-mêmes ce qu’ils disent. Ce qui nous porte à leur donner le nom faux de maîtres, c’est que la plupart du temps il n’y a aucun intervalle entre la parole et la pensée ; et parce que la vérité intérieure enseigne aussitôt après l’éveil donné par le discours, on croit avoir été instruit par le langage qui a retenti aux oreilles.

46. Si l’on considère avec attention les avantages de la parole, ils sont importants ; une autre fois, si Dieu le permet, nous les examinerons tous. En te prévenant ici de ne pas les exagérer, j’ai voulu arriver avec toi, non plus seulement à croire, mais à commencer de comprendre combien est vrai le divin témoignage qui nous défend d’appeler sur la terre quelqu’un notre maître, car nous n’avons tous qu’un Maître dans le ciel.

Quelle est la gloire de ce Maître dans le ciel ? lui-même nous l’apprendra. Il veut que les hommes nous avertissent au dehors par des signes, afin que recueillis intérieurement en lui-même nous soyons instruits par lui. L’aimer et le connaître, c’est la vie bienheureuse. Tous proclament qu’ils la cherchent ; et il en est peu qui goûtent la joie de l’avoir trouvée.

Mais dis-moi ton sentiment sur tout ce discours. Reconnais-tu la vérité dans tout ce que j’ai dit ? C’est que, si l’on t’eût questionné sur chaque pensée, ta réponse aurait fait connaître que tu la savais déjà ; et tu vois de cette manière Qui te les a enseignées : ce n’est pas moi puisque tu m’aurais tout dit, si je te l’avais demandé. Remarques-tu que je n’ai pas dit vrai ? ce n’est ni Lui ni moi qui t’avons enseigné : moi, parce que