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on les peint, si on me montre à quoi ils ressemblent, je ne dirai pas qu’on ne me les fait point connaître, et je le prouverai facilement en ajoutant quelques mots ; je dis seulement qu’on ne me les fait point connaître par la parole. Mais si au moment où je suis appliqué à les regarder on me dit tout à coup : voilà des saraballes, j’apprendrai ce que je ne savais point encore ; je l’apprendrai, non par les paroles qui me sont adressées, mais par la vue de l’objet ; c’est cette vue en effet qui m’a fait comprendre la signification du nom de saraballes. Je ne l’ai pas connue sur le témoignage d’autrui, mais sur le témoignage de mes propres yeux ; Le témoignage étranger a pu seulement éveiller mon attention, c’est-à-dire me porter à étudier du regard ce qui était devant moi.

Chapitre XI. Les paroles retentissent a l’oreille ; la vérité enseigne l’esprit.

36. Voilà tout ce que peuvent les paroles dire qu’elles nous excitent à étudier sans nous faire rien connaître, c’est leur accorder beaucoup. Il faut, pour m’instruire, me mettre sous les yeux, devant quelqu’autre sens corporel ou même devant l’esprit, ce que je veux connaître. Ainsi les paroles ne nous apprennent que des paroles, ou plutôt le son et le bruit qu’elles produisent. Car si la parole est essentiellement un signe, en vain j’ai entendu la même parole, j’ignore que c’est une parole avant de savoir ce qu’elle signifie. La connaissance des choses complète donc la connaissance des paroles, et en entendant des mots, on n’apprend pas même des mots. Car nous n’apprenons pas ceux que nous savons, et pouvons-nous avancer que nous savons ceux que nous ignorons, avant d’en avoir saisi le sens ? Or ce qui fait saisir le sens, ce n’est pas le bruit qui frappe l’oreille, c’est la connaissance de l’objet que le mot désigne. Rien n’est plus vrai que le dilemme suivant : lorsque des paroles sont prononcées devant nous, nous savons ce qu’elles signifient ou nous ne le savons pas. Si nous le savons, elles nous le rappellent plutôt que de le faire connaître ; si nous ne le savons pas, il est évident qu’elles n’en réveillent pas le souvenir, peut-être nous excitent-elles simplement à nous instruire.

37. Tu avoueras sans doute que ces saraballes ne nous étant connues que de nom, il nous est impossible de les connaître réellement sans les avoir vues, et que le nom même ne pourra nous être pleinement connu avant elles ; mais diras-tu : Avons-nous appris autrement que par des paroles ce que nous savons de ces trois enfants ; comment leur foi et leur piété ont triomphé du prince et des flammes, comment ils ont chanté les louanges de Dieu et mérité d’être comblés d’honneurs par leur propre ennemi ? Nous savions déjà, répondrai-je, tout ce que signifient ces paroles ; je connaissais ce qu’on entend par trois enfants, une fournaise, des flammes, un roi, ce que c’est que d’être préservé des atteintes du feu et tout ce qu’expriment d’ailleurs ces paroles. Pour Ananias, Azarias et Misaël, ils me sont aussi inconnus que ces saraballes, et les noms qu’ils portent ne m’ont point aidé ni n’ont pu m’aider à les connaître. Tout ce que rapporte cette histoire s’est accompli fidèlement à cette époque ; je le crois plutôt que je ne le sais.

Les saints auteurs, en qui notas avons foi, n’ignorent pas cette dernière différence ; car un prophète a dit : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point. » Il n’aurait point parlé de cette sorte s’il avait estimé qu’il n’y a point de distinction entre savoir et croire. Je crois ce que je comprends, mais je ne comprends pas tout ce que je crois. Or, ce que je comprends, je le sais ; je ne sais donc pas tout ce que je crois. Je n’ignore pas néanmoins combien il m’est utile de croire même beaucoup de choses que je ne sais pas, et entre autres cette histoire des trois enfants. Si donc il m’est impossible de savoir la plupart des choses, je sais au moins combien il m’est avantageux de les croire.

38. Mais comment parvenons-nous à comprendre ? Ce n’est point en consultant l’interlocuteur (lui fait bruit au dehors, c’est en consultant, au dedans, la vérité qui trône dans l’esprit, et que peut-être les paroles entendues nous portent à consulter. Or, cette vérité que l’on consulte et qui enseigne, c’est le Christ lui-même, c’est-à-dire l’immuable vertu de Dieu et son éternelle sagesse, dont il est dit qu’il habite dans l’homme intérieur. Il est vrai, toute âme raisonnable consulte cette divine sagesse ; mais elle ne se révèle à chacun que dans la proportion de sa volonté, bonne ou mauvaise, et quand on se trompe, ce n’est pas la faute de la vérité consultée. Est-ce à la lumière