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marquer les parties du monde et se dirigez dans leurs courses, soit sur mer, soit à travers les solitudes sablonneuses de l’intérieur de notre midi, où ils n’aperçoivent nulle route tracée ; tous ceux enfin qui rappellent le souvenir de quelques astres pour exprimer d’une manière figurée quelque vérité utile et les vaines erreurs de ces observateurs du ciel qui n’y cherchent ni les qualités de l’air, ni les chemins pour se conduire, ni le seul calcul des temps, ni la similitude des choses spirituelles, mais qui prétendent y découvrir comme les secrets inexorables du destin !

16. Voyons maintenant pourquoi la célébration de Pâques est réglée de manière que le sabbat la précède toujours, car ceci est le propre de la religion chrétienne. Les Juifs, pour leur pâque, ne font attention qu’au mois du renouvellement depuis le quatorzième jusqu’au vingt et unième jour de la lune. Mais, comme le temps de la pâque où mourut le Seigneur, se rencontra de telle manière qu’il y eut le sabbat entre sa mort et sa résurrection, nos pères ont pensé qu’il fallait ajouter cette pratique, pour que notre fête se distinguât de la fête des Juifs, et que la postérité chrétienne observât dans la célébration annuelle de la Passion, ce qu’oie doit croire n’avoir pas été fait en vain par Celui qui est avant les temps, qui a fait les temps, qui est venu dans la plénitude des temps, qui avait le pouvoir de quitter son âme et de la reprendre, qui attendait, non pas l’heure du destin, mais celle qu’il avait choisie comme étant la meilleure pour l’institution de ses mystères, lorsqu’il disait : « Mon heure n’est pas encore venue[1]. »

17. En effet ce que nous recherchons maintenant par la foi et l’espérance, comme je l’ai dit plus haut, ce à quoi nous aspirons par l’amour, c’est un saint et perpétuel repos qui soit la fin de tout travail et de toute peine ; nous y passons en sortant de cette vie, et c’est ce passage. que Notre-Seigneur Jésus-Christ a daigné nous montrer à l’avance et consacrer par sa Passion. Il n’y a pas, dans ce repos, une oisive indolence, mais je ne sais quelle ineffable tranquillité dans une action oisive. C’est ainsi qu’à la fin on se repose des travaux de cette vie pour se réjouir dans l’action de la vie future. Mais comme cette action ne consiste qu’à louer Dieu, sans fatigue de corps et sans inquiétudes d’esprit, on n’y passe point par un repos auquel un travail succède : c’est-à-dire, qu’en commençant elle ne détruit pas le repos ; car on ne revient pas aux travaux et aux soucis, mais on demeure dans l’action avec ce qui appartient au repos : nulle peine dans l’œuvre, nulle fluctuation dans la pensée. Le repos nous ramène donc à cette première vie d’où l’âme est tombée dans le péché, et c’est pourquoi ce repos est représenté par le sabbat. Cette première vie, rendue à ceux qui reviennent du pèlerinage et reçoivent la première robe du retour dans la maison paternelle, est, à son tour, figurée par le premier jour de la semaine que nous appelons le jour du Seigneur. Cherchez en effet les sept jours en lisant la Genèse, vous trouverez que le septième n’a pas de soir parce qu’il signifie un repos sans fin. Ce fut donc le péché qui empêcha la première vie d’être éternelle. Mais le dernier repos est éternel. Pour ce motif au huitième jour est attribuée l’éternelle béatitude ; car cet éternel repos se communique à lui sans s’épuiser ; autrement il ne serait pas éternel. Ainsi le premier jour est remplacé par le huitième ; c’est que la première vie n’est point perdue, mais rendue pour l’éternité.

18. Il a été recommandé au peuple juif de célébrer le sabbat par le repos du corps, afin qu’il devînt la figure de la sanctification dans le repos de l’Esprit-Saint. Nous n’avons vu nulle part dans la Genèse la sanctification pour tous les autres jours ; c’est du seul sabbat qu’il a été dit : « Et Dieu sanctifia le septième jour[2]. » Les âmes pieuses et celles qui ne le sont pas aiment le repos, mais la plupart ne savent point comment arriver à ce qu’elles aiment. Les corps eux-mêmes, par leur propre poids, ne demandent pas autre chose que ce que demandent les âmes par leurs amours. De même qu’un corps est entraîné par son poids en bas ou en haut jusqu’à ce qu’il trouve le repos en touchant au point vers lequel il tend, comme nous voyons l’huile tomber si on la laisse libre dans l’air, remonter si elle est dans l’eau, ainsi l’âme va de tous ses efforts vers ce qu’elle aime pour s’y reposer quand elle l’a trouvé. À la vérité beaucoup de choses lui plaisent par le corps, mais il n’est pas en elles de repos éternel, pas même un repos de longue durée ; elles ne font. que la souiller et l’appesantir, puisqu’elles l’arrêtent dans son élan naturel qui la porte en haut. Lorsque

  1. Jean, II, 4
  2. Gen. II, 3