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mais la fin elle-même ? Mais saint Matthieu ne fait aucune exception dans les signes qui doivent annoncer la fin ; après qu’il a dit que les vertus des cieux seront ébranlées, il ajoute : « Et alors paraîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme, et alors toutes les tribus de la terre gémiront, et on verra venir le Fils de l’homme sur les nuées du ciel avec une grande puissance et une grande majesté, et il enverra ses anges avec la trompette et une grande voix, et ils rassembleront ses élus des quatre vents depuis une extrémité des cieux jusqu’à l’autre. Or, apprenez la parabole du figuier. Quand son rameau devient tendre et que ses feuilles paraissent, vous connaissez que l’été est proche : de même quand vous verrez toutes ces choses, sachez que le Fils de l’homme est tout près et à la porte. »

45. Ainsi nous saurons qu’il est proche, quand nous verrons s’accomplir, non point quelques-uns de ces signes, mais tous ces signes, quand le Fils de l’homme viendra, quand il enverra ses anges, et qu’il rassemblera ses élus des quatre parties du monde, c’est-à-dire de toute la terre c’est ce que Jésus-Christ fait durant toute cette dernière heure. Il vient dans ses membres comme sur autant de nuées, ou dans toute l’Église elle-même, qui est son corps, comme dans une grande nuée qui étend sa fécondité à travers le monde entier ; Jésus-Christ fait tout cela depuis qu’il a commencé à prêcher et à dire : « Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche. » Ainsi donc, en comparant et en examinant attentivement les récits des trois évangélistes sur l’avènement du Seigneur, peut-être trouverait-on que tous ces signes concernent l’avènement quotidien du Sauveur dans son corps, qui est l’Église, et dont il disait aux juifs : « Un jour vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la majesté de Dieu, et venant sur les nuées du ciel. » J’excepte les passages où il s’annonce comme devant juger les vivants et les morts, et dans des termes qui permettent de croire que ce jugement sera prochain ; j’excepte aussi ce qu’il dit si clairement à la fin du discours rapporté par saint Matthieu de ce même avènement, après avoir marqué un peu auparavant à quels signes on en reconnaîtra l’approche. Voici en effet la conclusion du discours telle que la donne saint Matthieu : « Mais quand le Fils de l’homme, dit-il, viendra dans sa majesté et tous les anges avec lui, alors il s’assiéra sur le trône de sa gloire ; alors il rassemblera devant lui toutes les nations. » Et le reste jusqu’à l’endroit où le Seigneur dit : « Et ceux-ci iront dans le supplice éternel, mais les justes iront dans la vie éternelle. ». Ceci s’applique, sans aucun doute, au dernier avènement du Christ et à la fin du monde. Des interprètes ont prétendu, non sans quelque raison, que les cinq vierges sages et les cinq vierges folles dont il est parlé dans ce discours[1], doivent s’entendre de l’avènement quotidien du Sauveur dans son Église. Toutefois, il faut se garder ici d’affirmations téméraires, de peur qu’il ne se rencontre quelque chose qui les contredirait fortement. Au milieu des obscurités des Livres divins, obscurités par lesquelles il a plu à Dieu d’exercer nos intelligences, il peut se faire que parmi les bons commentateurs, non-seulement l’un pénètre mieux qu’un autre le sens des saintes Écritures, mais aussi que le même ne comprenne pas toujours également bien.

46. J’ignore néanmoins s’il est possible, quelque lumière et quelque pénétration que l’on puisse avoir, de découvrir ici quelque chose de plus certain que ce que j’ai déjà établi dans une précédente lettre sur l’époque où l’Évangile sera porté dans le monde entier. Votre révérence croit qu’il a déjà été prêché de tous côtés par les apôtres eux-mêmes ; j’ai des preuves certaines qu’il n’en est pas ainsi. Nous avons chez nous, en Afrique, d’innombrables tribus barbares auxquelles l’Évangile n’a point été encore annoncé ; nous l’apprenons tous les jours par les prisonniers qui nous en arrivent et dont les Romains font des esclaves. Depuis peu d’années, quelques-uns de ces peuples, en très-petit nombre, placés aux frontières romaines et soumis à l’Empire, de façon à n’avoir plus leurs rois, mais des chefs nommés par les Romains, commencent à se faire chrétiens, eux et leurs chefs. Les peuples établis plus à l’intérieur, et qui n’obéissent en rien à la puissance romaine, demeurent tout à fait étrangers à la religion chrétienne, sans qu’il puisse être, cependant, permis de dire qu’ils n’appartiennent pas aux promesses de Dieu[2].

  1. Matth. XXV, 1-13
  2. Ce passage est intéressant pour l’histoire des anciennes populations de l’Afrique.
    Les Berbères, devenus aujourd’hui un si curieux sujet d’étude, nous représentent ces populations des vieux âges africains qui résistèrent plus ou moins à la domination romaine, et dont une très faible partie embrassa la religion chrétienne. Saint Augustin a parlé ailleurs (Cité de Dieu) de l’unité de leur langue ; cette unité du langage des Berbères et celle de leur race elle-même se démontrent chaque jour avec une évidence nouvelle, à mesure que la géographie et la philologie étendent leurs conquêtes, sur les pas de nos soldats. L’écrivain arabe Ibn-Khaldoun qui vivait dans les dernières années du quatorzième siècle, et Léon l’Africain qui appartient au commencement du seizième, ne parlent pas sur ce point autrement que l’évêque d’Hippone. Nous avons traduit par tribus le mot de gentes dans le texte de saint Augustin ; notre grand docteur n’est pas le seul à appeler du nom de gentes les tribus de l’intérieur de l’Afrique et celles qui habitent dans le voisinage de la mer ; c’est la désignation dont se servent les écrivains latins. Notre ami M. Reinaud pense que le nom de cette portion de Berbères appelée Zenata vient de l’ancien mot Gentes : « Dans mon opinion, dit-il, Zenata ou Djanata qui au singulier fait Zena ou Djana est une forme altérée du latin Gens au singulier et Gentes au pluriel, et le mot Kabyle faisant au pluriel Kabaïl en est l’équivalent arabe. » Cette habile remarque de M. Reinaud est consignée dans son récent mémoire sur les populations de l’Afrique septentrionale, leur langage, leurs croyances, leur état social aux différentes époques de l’histoire. Nous citerons aussi le rapport du même savant sur le tableau des dialectes de l’Algérie et des contrées voisines, et le mémoire de M. Geslin, lu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Ce mémoire et ce rapport, où une saine érudition se mêle à une bonne critique, nous représente l’état actuel de la science en ce qui touche les populations africaines domptées ou menacées par nos armes.