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chansons lascives se font entendre ; les orgues, les flûtes, les lyres, les guitares, les luths retentissent ; le bruit de tous les genres d’instruments et de toutes sortes de jeux frappe l’oreille : est-ce là sécher de frayeur ? N’est-ce pas là au contraire une voluptueuse vie ? Mais les enfants des ténèbres se plongeront bien plus encore dans ces sortes de plaisirs lorsqu’ils diront : « La paix et la sécurité sont avec nous. »

38. Que font eux-mêmes les enfants de la lumière et les enfants du jour que la fin du monde ne doit pas surprendre comme un voleur de nuit ? Ne continuent-ils pas à user de ce monde quoique ce soit comme n’en usant point ? Il y a bien longtemps qu’il a été dit : « Le temps est court[1] ; » et ils ne cessent de penser à cette parole des apôtres avec une pieuse sollicitude. Le plus grand nombre d’entre eux pourtant ne laisse pas de planter et de bâtir, d’acheter, de posséder, de remplir des fonctions, de se marier. Je parle de ceux qui, tout en attendant que leur Maître revienne des noces[2], ne se privent pas cependant des noces de ce monde, mais dont la charité obéissante n’oublie pas les prescriptions de l’Apôtre sur la manière dont les femmes doivent vivre avec leurs maris, les maris avec leurs femmes, les enfants avec leurs parents, les parents avec leurs enfants, les serviteurs avec leurs maîtres, les maîtres avec leurs serviteurs : en toutes ces choses n’usent-ils pas encore de ce monde ? Ils labourent, ils naviguent, ils achètent, ils sont pères de famille, ils combattent, ils gouvernent. Je ne crois pas que telle doive être leur vie, lorsqu’on en sera véritablement à l’accomplissement de ce qui est marqué dans l’Évangile : « lorsqu’il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, lorsque les nations seront dans l’épouvante et que la mer fera entendre d’effroyables mugissements ; lorsque les hommes sécheront de frayeur, dans l’attente des maux qui doivent arriver à tout l’univers, car les vertus des cieux seront ébranlées. »

39. Je pense qu’il serait mieux d’entendre ces choses de l’Église elle-même, de peur que le Seigneur Jésus ne paraisse avoir annoncé comme une grande marque de son second avènement, ce qui s’est déjà vu en ce monde avant même la naissance du Christ, et de peur que nous ne soyons l’objet des railleries de ceux qui nous montreraient dans l’histoire de plus grandes calamités, que celles que nous regarderions avec effroi comme les signes de la fin du monde. L’Église est représentée parle soleil, la lune et les étoiles ; il lui a été dit : « Tu es belle comme la lune, brillante comme le soleil[3]. » Elle adore notre Joseph en ce monde figuré par l’Égypte, où il a passé du néant à la gloire ; la mère de Joseph était morte[4] quand Jacob alla trouver son fils en Égypte[5] ; ce n’est donc pas cette mère-là qui a pu adorer Joseph : et la vérité de ce songe prophétique[6] a dû s’accomplir dans Notre-Seigneur lui-même. Quand le soleil sera obscurci, et que la lune ne donnera plus sa lumière et que les étoiles tomberont du ciel et que les vertus des cieux seront ébranlées, comme il est dit dans les évangiles de saint Matthieu et de saint Marc, l’Église en quelque sorte ne se verra plus ; elle sera, au-delà de toute mesure, en proie à la persécution des impies qui, ne craignant plus rien et au comble des félicités humaines, s’en iront, répétant : « La paix et la sûreté sont avec nous. » Alors les étoiles tomberont du ciel et les vertus des cieux seront ébranlées ; ce qui veut dire que plusieurs qui naguère semblaient resplendir par la grâce, fléchiront devant les persécuteurs et tomberont : quelques-uns même des plus forts seront ébranlés. Aussi voyons-nous dans saint Matthieu et dans saint Marc que cela arrivera après la tribulation de ces derniers jours ; non pas que ces choses doivent arriver après que la persécution sera entièrement passée, mais parce que la tribulation précédera et qu’elle sera suivie de la chute de quelques-uns ; et comme cette persécution se fera sentir pendant la durée de tous ces derniers jours, on pourra toujours dire que ce sera après la tribulation quoiqu’elle doive arriver en même temps.

40. Les paroles de saint Luc sur le trouble et l’épouvante des nations sur la terre, ne s’appliquent donc pas aux nations sorties de la race d’Abraham dans laquelle toutes les nations seront bénies[7], mais elles s’appliquent à cette portion du genre humain qui sera placée à la gauche de Jésus-Christ lorsque tous les peuples seront rassemblés devant le Juge des vivants et des morts. Il y aura des bons et des mauvais, des persécuteurs et des persécutés pris dans toutes les nations ; c’est d’elles que

  1. I Cor. VII, 29.
  2. Luc, XII, 36.
  3. Cant. VI, 9.
  4. Gen. XXXV, 19.
  5. Ib. XLVI.
  6. Ib. XXXVII, 9.
  7. Gen. XXII, 18