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femmes enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là ! Car cette terre sera accablée de maux, et la colère tombera sur ce peuple. Et ils tomberont sous le tranchant du glaive, et ils seront emmenés captifs dans tous les pays. Et Jérusalem sera foulée par les gentils, jusqu’à ce que les temps des nations soient accomplis[1]. »

28. Avant d’en venir là, saint Matthieu écrit ceci : « Quand donc vous verrez dans le lieu saint l’abomination de la désolation, prédite par le prophète Daniel, que celui qui lit entende ; alors, que ceux qui sont dans la Judée s’enfuient dans les montagnes ; que celui qui sera sur le toit ne descende pas pour emporter quelque chose de sa maison ; que celui qui sera dans les champs ne retourne point pour prendre son vêtement. Malheur aux femmes qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là !, etc.[2] » Et saint Marc écrit : « Mais quand vous verrez l’abomination de la désolation être où elle ne doit pas être, qui lit, entende ; alors, que ceux qui sont en Judée s’enfuient dans les montagnes ; et que celui qui sera sur le toit ne descende pas dans sa maison et n’y entre pas pour rien emporter ; et que celui qui sera dans les champs ne retourne pas en arrière pour emporter son vêtement. Malheur aux femmes enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là[3] ! » et le reste. Saint Luc, pour montrer que l’abomination de la désolation prédite par le prophète Daniel est arrivée avec la ruine de Jérusalem, cite dans le même passage ces paroles du Seigneur : « Quand vous verrez Jérusalem environnée d’une armée, sachez que sa désolation est proche. » C’est donc ici que se place l’abomination de la désolation dont parlent les deux autres évangélistes. Ensuite saint Luc continue comme eux : « Alors que ceux qui sont dans la Judée s’enfuient dans les montagnes. » Les deux autres avaient dit : « Que celui qui sera sur le toit ne descende pas dans sa maison et n’y entre pas pour emporter quelque chose ; » saint Luc dit : « Que ceux qui seront dans la ville s’en aillent : » par là il nous fait voir que les paroles des autres évangélistes ne sont que des conseils pour une fuite précipitée. Les deux autres évangélistes avaient dit : « Que celui qui sera dans le champ ne retourne pas en arrière pour emporter son vêtement ; » saint Luc dit plus clairement : « Que ceux qui seront dans les champs ne rentrent pas dans la ville, parce que ce sont des jours de vengeance, afin que tout ce qui est écrit s’accomplisse[4]. » Puis, le même évangéliste, continuant son récit, dit comme les deux autres : « Malheur aux femmes qui seront enceintes ou qui allaiteront en ces jours-là ? » et le reste du même passage que j’ai déjà rappelé. Il est donc évident qu’en cet endroit les trois évangélistes ne veulent parler que d’une même chose.

29. Saint Luc éclaircit donc ce qui pouvait rester incertain ; il montre qu’à la ruine de Jérusalem et non à la fin du monde se rapporte ce qui est dit de l’abomination de la désolation et de l’abréviation des jours en faveur des élus : car, quoiqu’il n’ait rien dit de ces deux choses, il parle plus clairement que les autres évangélistes de la ruine de la ville, ce qui prouve que le reste s’y rapporte aussi. En effet, nous ne pouvons pas mettre en doute que, quand Jérusalem a été détruite, il n’y ait eu dans le peuple juif des élus de Dieu qui croyaient ou devaient croire, et qui avaient été élus avant même que le monde fût créé c’est pour eux que ces jours devaient être abrégés, afin que les maux leur devinssent supportables. Quelques interprètes me paraissent avoir raison quand ils croient que les maux sont désignés ici sous le nom de jours, comme on dit « les jours mauvais » en d’autres endroits des divines Écritures[5] : ce ne sont pas les jours eux-mêmes qui sont mauvais, ce sont les choses qui arrivent. Il est dit que ces maux ont été abrégés afin que, grâce à la patience que Dieu leur donne, les élus en sentent moins le poids, et que des maux si grands deviennent courts.

30. Mais soit qu’il faille entendre de cette façon l’abréviation des jours, soit que Dieu les réduise à un petit nombre, soit qu’ils se trouvent abrégés par un cours plus rapide du soleil (et il ne manque pas de gens qui pensent que ces jours seront plus courts dans ce dernier sens, de la même manière que le jour fut plus long à la prière de Josué[6]) ; toujours est-il que l’évangéliste saint Luc rapporte à la ruine de Jérusalem cette abréviation des jours et l’abomination de la désolation. Il n’a pas parlé de ces deux choses ; c’est saint Matthieu et saint Marc qui en ont parlé ; mais ce que

  1. Luc, XXI, 23, 24.
  2. Matth. XXIV, 15-19.
  3. Marc, XIII, 14-17.
  4. Luc, XXI, 21, 22.
  5. Eph. V, 5-6.
  6. Jos. X, 12-14