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LETTRE CXCIX.
(Année 418.)

Saint Augustin, dans cette seconde réponse à Hésychius, traite à fond la question de la fin du monde d’après les témoignages des divines Écritures ; nous y trouvons les impressions et les terreurs contemporaines, mais nous y trouvons aussi la tranquille sérénité d’un grand esprit, la mesure et la réserve qui n’abandonnent jamais l’évêque d’Hippone. Il s’attache à prouver qu’on ne peut rien savoir sur l’époque de la fin des temps. Saint Augustin a mentionné cette lettre dans le XXe livre, chap. V, de la Cité de Dieu.


AUGUSTIN AU BIENHEUREUX SEIGNEUR HÉSYCHIUS, SON CHER ET VÉNÉRABLE FRÈRE ET COLLÈGUE DANS L’ÉPISCOPAT, SALUT DANS LE SEIGNEUR.


1. J’ai reçu la lettre où votre révérence exhorte vivement et salutairement à aimer et à désirer l’avènement de notre Sauveur. Vous le faites comme un bon serviteur du Père de famille très-occupé des intérêts du Maître, et voulant que beaucoup d’autres partagent l’amour persévérant dont vous êtes vous-même embrasé. Vous vous rappelez le passage de l’Apôtre où il est dit que le Seigneur lui accordera une couronne de justice, non-seulement à lui, mais à tous ceux qui aiment son avènement[1] ; encouragés par cette pensée, nous traversons ce monde comme des étrangers, à mesure que cet amour fait des progrès dans nos âmes : que la venue du Sauveur soit prochaine ou qu’elle doive tarder, notre fidélité s’attache à cette espérance, et nos vœux pieux aspirent à cette manifestation suprême. Le serviteur qui dit : « Mon maître tarde à venir, » et qui frappe ses compagnons, et qui mange et boit avec des gens perdus comme lui[2], n’aime pas la manifestation de son maître. Son cœur se fait voir par ses œuvres ; c’est pourquoi le bon Maître a eu soin, quoique brièvement, de nous marquer les vices de pareils serviteurs ; il nous les montre livrés à l’orgueil et à l’intempérance, pour nous avertir que ce n’est pas dans un mouvement d’affectueux désir que le mauvais serviteur disait : « Mon Maître tarde à venir. » Il ne soupirait pas après lui comme cet ami de Dieu qui disait : « Mon âme a soif du Dieu vivant : quand irai-je ? quand paraîtrai-je devant la face de Dieu[3] ? » En parlant ainsi, l’ami de Dieu exprimait une impatience pénible : le temps, tout rapide qu’il soit, paraissait bien long au gré de ses désirs. Comment pouvons-nous dire que le Sauveur tarde a venir ou que son avènement est éloigné, puisque les apôtres eux-mêmes, lorsqu’ils étaient encore sur la terre, disaient que « la dernière heure était venue[4] » Et pourtant ils avaient entendu dire au Seigneur : « Ce n’est point à vous à savoir les temps. » Les apôtres ne savaient donc pas ce que nous ne savons pas nous-mêmes, moi du moins et ceux qui l’ignorent comme moi. Jésus-Christ leur avait dit : « Ce n’est point à vous à savoir les temps, que le Père a mis en sa puissance ; » ce qui ne les empêchait pas d’aimer sa manifestation et de distribuer à leurs compagnons la nourriture qu’il fallait ; ils ne les battaient pas en exerçant sur eux une domination brutale, ils ne commettaient pas des excès avec ceux qui aiment le monde et ne disaient pas : « Mon maître tarde à venir. »

2. Autre chose est donc l’ignorance des temps, autre chose la corruption des mœurs et l’amour des vices. Lorsque l’apôtre Paul disait : « Ne vous troublez pas, ne vous effrayez pas d’une parole ou d’une lettre qu’on vous dirait venir de nous comme si le jour du Seigneur était proche[5] ; » lorsque l’Apôtre parlait ainsi, il ne voulait pas qu’on ajoutât foi à ceux qui répétaient que l’avènement du Seigneur était proche ; il ne voulait pas non plus qu’à l’exemple du mauvais serviteur, les chrétiens trouvassent que le Seigneur tardait à venir et qu’ils se livrassent à l’orgueil et aux excès. Tout en les mettant en garde contre de fausses rumeurs, l’Apôtre voulait que les fidèles fussent préparés à recevoir leur maître avec les reins ceints et les lampes allumées[6]. « Mais vous, mes frères, leur disait-il, vous n’êtes pas dans les ténèbres en sorte que ce jour puisse vous surprendre comme un voleur. Car vous êtes tous enfants de la lumière et enfants du jour ; nous ne sommes pas enfants de la nuit ni des ténèbres[7]. » Celui qui dit que son maître tarde à venir, celui qui bat ses compagnons et boit jusqu’à l’ivresse avec des gens perdus comme lui, n’est pas enfant de la lumière, mais il est l’enfant des ténèbres ; c’est pourquoi ce jour suprême le surprendra comme un voleur. Chacun doit craindre d’être ainsi surpris par le dernier jour de sa vie ; nous serons, au dernier jour du monde, comme nous aura trouvés le dernier de nos jours : tels nous aurons été en mourant, tels nous serons jugés à la fin des siècles.

  1. II Tim. IV, 8.
  2. Luc, XII, 45.
  3. Ps. XLI, 3
  4. I Jean, II, 18.
  5. II Thess. II, 2.
  6. Luc, XII, 35, 36.
  7. I Thess. V, 4-5.