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dit, une autre question. Elle m’embarrasserait peut-être sans les exemples d’Isaac et de Jacob et d’autres exemples qui peuvent se rencontrer dans les livres saints, pourvu toutefois que ce qui est dit dans le Nouveau Testament, qu’il ne faut jurer en aucune sorte[1], ne fasse pas une nouvelle difficulté. Il me paraît que cela a été dit, non point parce que c’est un péché de jurer en toute vérité, mais parce que c’est un horrible péché de fausser son serment ; et le divin Maître avait en vue de nous préserver d’un tel péril lorsqu’il nous exhorta à ne pas jurer du tout. Je sais que votre sentiment est tout autre ; aussi n’avons-nous pas à disputer là-dessus, mais il s’agit d’aborder les questions sur lesquelles vous avez cru devoir me consulter. De même donc que vous ne jurez pas, n’obligez personne à jurer ; l’Écriture nous défend de jurer, mais je ne me souviens pas d’avoir lu dans les saintes Écritures qu’il ne faille pas recevoir d’un autre son serment. C’est une tout autre question de savoir s’il nous est permis de profiter d’une sécurité qui découlerait des serments d’autrui ; si nous ne voulons pas cela, je ne sais où nous trouverons sur la terre un coin pour y vivre, car nous devons aux serments des barbares la paix des frontières et aussi la paix de toutes les provinces. Et il s’ensuivait que la souillure n’atteindrait pas seulement les récoltes confiées à la garde de ceux qui jurent par les faux dieux, mais que tout ce qui est protégé par ces engagements deviendrait impur : ce serait si absurde que vos doutes à cet égard doivent entièrement disparaître.

3. De même, un chrétien qui, le sachant et pouvant l’empêcher, permet qu’on prenne dans son aire ou son pressoir quelque chose pour servir aux sacrifices des démons, commet un péché. S’il trouve la chose faite, ou s’il n’a pas pu s’y opposer, il peut se servir de ce qui reste sans avoir à redouter la moindre souillure, comme nous nous servons des fontaines où nous savons qu’on a puisé de l’eau pour les sacrifices. Il en est ainsi des bains. Nous ne faisons pas difficulté de respirer l’air auquel nous savons que s’est mêlée la fumée des autels et de l’encens des démons. Ce qui est interdit, c’est d’user ou d’avoir l’air d’user de quelque chose pour honorer les dieux étrangers, ou d’agir de telle manière que, malgré notre mépris pour ces dieux, nous portions à les honorer ceux qui ne connaissent point le fond de notre cœur. Et lorsque, après en avoir reçu le pouvoir, nous abattons, des temples, des idoles, des bois ou quelque chose de ce genre, il est bien évident que nous faisons cela en témoignage de détestation et non pas en témoignage d’honneur ; cependant nous devons nous garder de nous en attribuer quoique ce soit pour notre usage personnel, de peur qu’il ne semble que nous ayons mis la main à cette démolition par pure cupidité et non point par piété. Mais quand ces restes du paganisme passent, au contraire, à un usage public ou au culte du vrai Dieu, ils sont en quelque sorte transformés, comme les hommes eux-mêmes qui abandonnent des pratiques impies et sacrilèges pour embrasser la vraie religion. C’est ce que Dieu nous enseigne par les témoignages que vous avez cités, quand il ordonne de prendre dans le bois sacré des dieux étrangers pour servir à l’holocauste, et de porter dans les trésors du Seigneur tout l’or, l’argent et l’airain de Jéricho. Il est écrit dans le Deutéronome : « Vous ne désirerez point leur or ni leur argent (des images taillées de leurs dieux), vous n’en prendrez rien pour vous, de peur que cela ne vous soit une occasion de chute, parce que cela est en abomination devant le Seigneur votre Dieu : vous ne porterez point dans votre demeure ce qui est digne d’exécration ; autrement vous serez anathème comme l’idole même, et vous tomberez, et vous serez souillé par cette abomination, parce qu’elle est anathème[2]. » Il résulte qu’il n’est permis ni de faire servir ces idoles à des usages particuliers, ni de les porter chez soi pour leur rendre des honneurs : c’est en cela que seraient l’abomination et l’exécration, et non pas dans le renversement public de ces images et dans la cessation d’un culte sacrilège.

4. Soyez sûr, pour ce qui touche aux viandes immolées aux idoles, que nous n’avons rien à faire au-delà des prescriptions de l’Apôtre ; rappelez-vous ses paroles ; si elles étaient obscures, nous vous les expliquerions selon nos forces. On ne pèche point en mangeant, sans le savoir, quelque chose qu’on a d’abord rejeté comme ayant été offert aux idoles. Un légume, un fruit quelconque qui croît dans un champ appartient à celui qui l’a créé, parce que « la terre est au Seigneur ainsi que tout ce qu’elle contient, et toute créature de Dieu est bonne[3]. »

  1. Matt. V, 34
  2. Deut. VII, 25, 26
  3. Ps. XXIII, 1 ; I Cor. X, 25-26 ; I Tim. IV, 4.