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croyait juste et chrétien ce Maximien qui s’était séparé de lui et de ses amis à Carthage. Il ne pouvait que répondre non. Je, lui rappelai alors que Maximien souffrit une persécution telle que son église fut renversée jusque dans ses fondements. Je m’efforçais par ces exemples de lui persuader, si je pouvais, qu’il ne pouvait pas continuer à regarder le seul fait d’avoir souffert persécution comme une preuve très-certaine de justice chrétienne.

8. Il raconta qu’au commencement de la séparation, quand ses ancêtres dans le schisme songeaient à étouffer la faute de Cécilien afin de garder l’unité, ils donnèrent au peuple de leur communion à Carthage un chef provisoire, avant l’ordination de Majorin, à la place de Cécilien, et que les nôtres le tuèrent dans son église. C’était la première fois, je l’avoue, que j’entendais dire cela, au milieu de tant d’imputations dont nous avons eu à nous disculper, et d’accusations plus nombreuses et plus graves que nous avons dû élever contre eux. Mais, après son récit, votre évêque me demanda avec instance lequel des deux était le juste, celui qui avait tué ou celui qu’on avait tué ; il me le demanda, comme si le meurtre, tel qu’il venait de le raconter, eût été prouvé. Je lui disais qu’il importait d’abord de s’informer si c’était vrai, car il rie fallait pas croire légèrement aux allégations, et ensuite qu’il pourrait se faire que tous les deux fussent mauvais, et même qu’un mauvais eût tué plus mauvais que lui. En effet, il peut arriver que le rebaptiseur de tout l’homme soit plus criminel que le meurtrier du corps tout seul.

9. Fortunius, après ma réponse, aurait pu se dispenser de me dire que le méchant lui-même ne doit pas être tué par les chrétiens et les justes, comme si, dans l’Église catholique, nous regardions les meurtriers comme justes il est plus facile aux donatistes de dire cela que de le prouver, pendant qu’on voit leurs évêques, leurs prêtres, leurs clercs, au milieu de bandes nombreuses de gens furieux, ne pas cesser de multiplier les violences et les meurtres, non-seulement contre les catholiques, mais parfois encore contre leurs propres partisans. Malgré ces faits coupables que Fortunius connaissait bien, mais dont il ne disait mot, il me pressait de lui répondre si jamais un juste avait tué quelque méchant. Ceci n’appartenait plus à la question ; nous déclarions que partout où de telles choses pouvaient s’accomplir à l’abri du nom chrétien, ce n’étaient pas les bons qui les accomplissaient ; mais cependant, pour rappeler Fortunius à ce que nous devions chercher ensemble, je lui demandai s’il lui semblait qu’Elfe fût juste : il ne put pas le nier ; nous lui objectâmes combien de faux prophètes il avait fait mourir de sa main[1]. Il reconnut ce qu’il fallait reconnaître, c’est que de telles choses étaient alors permises aux justes ; ils les faisaient dans un esprit prophétique, sous l’autorité de Dieu qui sait sans doute à qui il est bon d’être tué. Fortunius me pressait de lui montrer dans les époques du Nouveau Testament l’exemple d’un juste qui eût tué quelque-un, même un scélérat et un impie.

10. On revint au précédent sujet d’entretien ; où nous voulions montrer que nous ne devions pas leur reprocher les crimes de ceux de leur parti, ni eux nous reprocher les crimes des gens de notre communion si on venait à en découvrir. On ne rencontre pas dans le Nouveau Testament un juste qui ait mis quelqu’un à mort, mais on peut prouver par l’exemple du Seigneur lui-même, que des innocents ont supporté des coupables ; le Seigneur souffrit en sa compagnie, jusqu’au dernier baiser de paix, celui qui avait déjà reçu le prix de sa trahison ; il ne cacha point à ses disciples qu’un si grand criminel était au milieu d’eux ; et cependant il leur donna à tous, sans avoir encore exclu le traître, le sacrement de son corps et de son sang[2]. Cet exemple ayant frappé à peu près tous ceux qui étaient là, Fortunius essaya de dire que cette communion avec un scélérat, avant la passion du Seigneur, n’avait pas pu nuire aux apôtres, parce qu’ils n’avaient point encore le baptême du Christ, mais seulement le baptême de Jean. Je lui demandai comment il était écrit que Jésus baptisait plus que Jean, puisqu’il ne baptisait pas lui-même, mais ses disciples[3], c’est-à-dire que c’était par ses disciples qu’il baptisait : comment donnaient-ils ce qu’ils n’avaient pas reçu ? c’est ce que les donatistes ont si souvent coutume de répéter. Est-ce que par hasard le Christ baptisait avec le baptême de Jean ? j’avais là-dessus beaucoup de choses à dire à votre évêque ; ainsi par exemple pourquoi interrogea-t-on Jean lui-même sur le baptême du Seigneur, et pourquoi répondit il que le Seigneur avait l’épouse et qu’il était l’époux[4] ; – l’époux devait-il baptiser du baptême

  1. III Rois, XVIII, 40
  2. Matt. XXVI, 20-38
  3. Jean, IV, 1, 2
  4. Id. III, 29