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pas voulu l’accepter. C’est pourquoi, s’il faut réserver un blâme à celui qui a été absous par un juge de la terre qu’il n’avait pas demandé, combien faut-il blâmer davantage ceux qui ont voulu un roi pour juge de leur cause ! S’il n’est pas criminel d’en appeler à l’empereur, il ne peut pas y avoir de crime à être entendu par l’empereur, ni par celui à qui il délègue le soin de juger. Celui de vos amis qui a soulevé ce blâme a voulu charger la cause de l’évêque Félix de l’histoire d’un homme suspendu au chevalet pour souffrir la question et être déchiré avec des ongles de fer. Mais Félix pouvait-il s’opposer à toutes les sévérités des recherches judiciaires lorsque le juge d’instruction cherchait à éclaircir sa cause ? Ne pas vouloir que la vérité fût cherchée de la sorte, n’aurait-ce pas été l’aveu même du crime ? Et cependant ce même proconsul, au milieu des voix terribles de ses crieurs, au milieu de ses bourreaux aux mains ensanglantées, n’eût jamais condamné un collègue absent, refusant de comparaître devant lui, tant qu’il serait resté quelque autre tribunal pour le juger ; et, s’il l’avait condamné, il en eût été justement puni par ces mêmes lois qui armaient sa justice.

14. Si les actes proconsulaires vous déplaisent, rendez-vous aux actes ecclésiastiques : on vous les a tous lus par ordre. Direz-vous que Melchiade[1], évêque de l’Église de Rome, n’aurait pas dû, avec ses collègues d’outre-mer, s’attribuer la connaissance d’une affaire jugée par soixante-dix évêques d’Afrique sous la présidence du primat de Tigisis ? Mais se l’est-il attribuée ? Ce fut l’empereur qui, prié par vos amis eux-mêmes, envoya à Rome des évêques pour examiner la question avec Melchiade et statuer selon ce qui paraîtrait le plus juste. Nous le prouvons par les sollicitations des donatistes et les paroles même de l’empereur ; vous vous souvenez qu’on vous les a lues, et vous avez la permission de les voir et de les copier. Lisez et considérez toutes ces choses. Voyez comme rien n’a été épargné pour le maintien de la paix ou pour son établissement, comme on a traité la personne des accusés, de quelles infamies quelques-uns d’entre eux se trouvèrent chargés, avec quelle évidence il résulta de leurs propres déclarations qu’ils n’avaient rien à dire contre Cécilien, mais qu’ils avaient voulu tout rejeter sur la multitude du parti de Majorin[2], multitude séditieuse et ennemie de la paix de l’Église ; cette turbulente troupe devait accuser Cécilien, et les vôtres espéraient que les clameurs populaires suffiraient pour tourner à leur guise l’esprit des juges sans qu’il fût besoin de preuves ni d’examen : mais une bande furieuse et enivrée à la coupe de l’erreur et de la corruption pouvait-elle articuler contre Cécilien des faits véritables après que soixante-dix évêques, dans une témérité violente, avaient condamné des collègues absents et innocents, ainsi que l’atteste l’affaire de Félix d’Aptonge ? Ils s’étaient entendus avec cette multitude pour rendre une sentence contre des innocents non interrogés : ils voulaient qu’elle devînt encore l’accusatrice de Cécilien ; mais des juges ne s’étaient point rencontrés qui fussent tombés dans de tels égarements.

15. Vous pouvez, dans votre sagesse, reconnaître la perversité des accusateurs et la fermeté des juges : ceux-ci refusèrent jusqu’au bout d’admettre contre Cécilien les plaintes de la populace du parti de Majorin, où n’apparaissait pas une personne proprement dite dont on pût écouter le témoignage ; et ils demandèrent soit les accusateurs, soit les témoins, soit les autres personnes nécessaires aux débats, qu’on avait vues, disait-on, et que Donat avait fait disparaître. Le même Donat promit de les représenter ; après l’avoir promis, non pas une fois, mais souvent, il ne voulait plus se montrer devant ce tribunal qui avait entendu de sa bouche des aveux tels que le but évident de sa retraite était de ne pas assister à sa condamnation : cette condamnation, toutefois, ne devait être motivée que sur ce qui avait été prouvé en sa présence et à la suite de ses réponses. Il arriva aussi qu’un écrit revêtu de quelques signatures, dénonça Cécilien, ce qui donna lieu à un nouvel examen. On sait quels étaient ces dénonciateurs ; on ne put rien prouver contre Cécilien ; mais que dis-je que vous n’ayez entendu et que vous ne puissiez lire chaque fois que vous le voulez ?

16. Vous vous rappelez tout ce qu’on a répété sur ce nombre de soixante-dix évêques et sur le poids de leur autorité. Mais les hommes sages aimèrent mieux s’abstenir d’entrer dans des questions infinies qui les eussent embarrassés

  1. Saint Melchiade ou Miltiade, d’origine africaine, élu pape le 21 juillet 311, mort le 10 janvier 314. Son pontificat, de courte durée, fut marqué par la victoire de Constantin sur Maxence, et par la condamnation des donatistes.
  2. Ce Majorin avait été élevé par les donatistes sur le siège épiscopal de Carthage, à la place de Cécilien ; injustement rejeté.