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ces enfants, lisez ce qui est écrit : « Les enfants de la sagesse, c’est l’assemblée des justes[1]. » Ce sont ceux qui, lorsqu’ils mangent, ne méprisent pas ceux qui ne mangent point ; ce sont ceux qui, lorsqu’ils ne mangent pas, ne jugent pas ceux qui mangent, mais qui méprisent ou jugent ceux dont le manger ou le jeûne serait un scandale pour les autres.

27. La question sur le samedi est d’une solution facile, puisque l’Église de Rome jeûne ce jour-là, et aussi quelques autres Églises, voisines ou éloignées, Mais le jeûne du dimanche est un grand scandale, surtout depuis que nous savons que la détestable hérésie des manichéens, ouvertement contraire à la foi catholique et aux divines Écritures, a choisi ce jour-là pour faire jeûner ses auditeurs : le jeûne du dimanche n’en est devenu que plus horrible ; à moins, pourtant, qu’on pût pousser le jeûne au delà d’une semaine, de manière à approcher, autant que possible, du jeûne de quarante jours, comme nous savons qu’on l’a fait quelquefois. Il nous a été affirmé par des frères très-dignes de foi qu’un chrétien est parvenu à jeûner quarante jours. De même qu’aux temps anciens le jeûne de quarante jours de Moïse et d’Elie ne fit rien contre le repas des samedis, de même celui qui a pu rester sept jours sans manger n’à pas choisi le dimanche pour son jeûne, mais il a trouvé le dimanche dans les jours nombreux qu’il a promis de passer en jeûnant. Si un jeûne continué ne doit pas s’étendre au-delà d’une semaine, rien n’est plus convenable que de l’interrompre le dimanche. Mais s’il doit se prolonger au-delà d’une semaine, on ne choisit pas le dimanche pour jeûner, mais on le trouve, comme je l’ai dit tout à l’heure, dans le nombre de jours qu’on a promis de passer sans manger.

28. Qu’on ne s’inquiète pas si les priscillianistes, très-semblables aux manichéens, ont la prétention d’appuyer leur jeûne du dimanche sur un passage des Actes des apôtres, quand saint Paul était dans la Troade. Voici ce qui est écrit : « Au commencement de la semaine, les disciples s’étant assemblés pour rompre le pain, Paul, qui devait partir le lendemain, leur fit un discours qui continua jusqu’à minuit[2]. » Paul descendit du cénacle où les disciples se trouvaient réunis, pour ressusciter un adolescent qui, surpris par le sommeil sur une fenêtre, s’était laissé tomber, et on le portait mort, et voici ce que l’Écriture dit de l’Apôtre : « Puis étant remonté et ayant rompu le pain et mangé, il leur parla encore jusqu’au jour et s’en alla[3]. » À Dieu ne plaise que nous puissions conclure de ce passage que les apôtres avaient coutume de jeûner solennellement le dimanche ! On appelait alors « premier jour de la semaine, » celui qui, maintenant, se nomme dimanche, comme on le trouve manifestement dans les Évangiles. Car le jour de la résurrection du Seigneur est appelé le premier de la semaine par saint Matthieu[4], et parles trois autres évangélistes : il est certain que c’est le jour auquel on a donné ensuite le nom de dimanche. Ou bien les disciples s’étaient réunis à la fin du jour du sabbat, à l’entrée de la nuit qui appartenait aussi au dimanche, c’est-à-dire au premier jour de la semaine, et dans cette même nuit, ayant à rompre le pain comme il est rompu dans le sacrement du corps du Christ, saint Paul parla jusqu’à minuit, et, après la célébration des mystères, il adressa de nouveau la parole jusqu’au point du jour aux disciples réunis, parce qu’il voulait partir le dimanche matin ; ou bien si les disciples se rassemblèrent le dimanche, non pas à la nuit, mais au jour, selon ce qui est dit que « Paul discourait avec eux, devant partir le lendemain, » la vraie cause de ce discours prolongé, c’est qu’il comptait partir, et qu’il désirait les instruire suffisamment. Ils n’étaient donc pas là jeûnant solennellement le dimanche, mais ils savaient le départ de l’Apôtre qui, obligé à d’autres voyages, ne les visitait jamais ou très-rarement, et n’avait pas cru devoir interrompre, par un repas, un discours nécessaire qu’ils écoutaient avec une extrême ferveur de zèle : l’Apôtre pressentait aussi, comme la suite nous l’apprend, qu’une fois parti de cette contrée, il ne les verrait plus. Cela montre particulièrement que le jeûne du dimanche n’était pas pour eux une coutume, car l’écrivain du livre des Actes, de peur qu’on n’eût cette pensée, n’a pas manqué d’expliquer pourquoi le discours se prolongea, et de nous apprendre à faire passer le dîner après les choses urgentes quand il le faut. D’ailleurs les disciples avidement suspendus aux lèvres de Paul et pensant à cette fontaine qui allait s’éloigner d’eux, voulant se désaltérer,

  1. Eccli. III, 1
  2. Act. XX
  3. Act. XX, 11
  4. Mat. XXVIII, 1 ; Marc, XVI, 2 ; Luc, XXIV, 1 ; Jean, XX, 1