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pas encore abandonné le faste de la dignité sénatoriale. Mélanie, selon la sainte ambition de ses vœux, aurait voulu qu’il eût passé de la gloire de la conversion à la gloire de la résurrection, qu’il eût partagé avec sa mère le repos et la couronne, et qu’à l’exemple de celle à qui il devait le jour, il eût préféré le sac à la toge et le monastère au sénat.

3. Pourtant cet homme, comme je crois l’avoir dit à votre sainteté, est parti de ce monde, enrichi de bonnes œuvres et s’il n’a pas laissé voir par le vêtement l’éclat de l’humilité de sa mère, il a aimé en esprit cette humilité. Il fut si doux dans ses mœurs et si humble de crieur, d’après la parole de l’Évangile[1], qu’on peut croire qu’il est entré dans le repos ; du Seigneur ; car des biens sont réservés à l’homme pacifique[2], et ceux qui sont doux posséderont la terre[3] ; ils plairont à Dieu dans la région des vivants[4]. Publicola, non-seulement dans le tacite consentement du crieur, mais encore dans les actes visibles de sa vie, a suivi le conseil de l’Apôtre ; placé à côté des grands du siècle, il ne goûtait pas les grandeurs comme un ami de la gloire de la terre, mais il s’unissait aux humbles[5] comme un parfait imitateur du Christ et ne cessait de leur donner sa compassion et ses soins. Aussi sa race a été puissante sur la terre, entre ceux que leur élévation fait appeler des dieux ; les bénédictions qui ont visité sa famille et sa maison ont mis en lumière le saint mérite de l’homme. « La postérité des justes sera bénie, dit le Psalmiste, la gloire et les richesses seront dans sa maison[6] ; » il ne s’agit pas ici d’une gloire périssable ni des richesses qui passent ; la maison dont parle le Psalmiste se bâtit dans les cieux, non pas avec le travail des mains, mais avec la sainteté des œuvres. Je n’ajouterai rien de plus pour la mémoire de l’homme qui m’était aussi cher qu’il se montrait dévoué au Christ ; je me souviens de vous en avoir déjà beaucoup parlé dans de précédentes lettres ; et d’ailleurs je ne saurais rien dire de meilleur ni de plus saint sur la bienheureuse mère de ce fils, sur Mélanie, la tige de ces pieux rameaux, que ce que votre sainteté a daigné en dire elle-même. Pécheur que je suis et avec des lèvres impures, je ne saurais parler dignement des mérites d’une telle foi et des vertus d’une telle âme ; j’en suis trop éloigné ; mais vous, l’homme du Christ, le docteur d’Israël dans l’Église de la vérité, vous étiez tout préparé, par la grâce de Dieu, à être le panégyriste de cette âme si virile dans le Christ : ainsi que je l’ai dit, votre esprit plus rapproché du sien, vous faisait comprendre cette âme que soutenait une force divine, et il vous appartenait de rendre un plus digne hommage à tant de piété et de vertu.

4. Vous daignez me demander quelle sera, après la résurrection de la chair, l’occupation des bienheureux dans le siècle futur. Mais c’est moi qui veux voles consulter, comme un maître et un médecin spirituel, sur l’état présent de ma vie, afin que vous m’appreniez à faire les volontés de Dieu, à suivre le Christ sur vos traces, et à mourir de cette mort évangélique par laquelle nous devançons volontairement la séparation de l’âme d’avec le corps, non par le trépas ordinaire, mais en nous retirant intérieurement de cette vie qui est pleine de tentations, et qu’un jour, vous adressant à moi, vous appeliez une tentation continuelle. Plût à Dieu que je m’attachasse si bien à vos traces que, dépouillant, à votre exemple, mes vieilles chaussures et brisant mes liens, je pusse librement m’élancer dans la voie, et mourir comme vous êtes mort à ce monde, pour vivre avec Dieu dans le Christ qui vit en vous, dans le Christ dont votre corps, votre crieur et votre bouche représentent la mort et la vie ! Car votre cœur ne goûte point les choses de la terre, et votre bouche ne s’occupe pas des œuvres des hommes ; mais la parole du Christ abonde dans votre âme, et l’esprit de vérité, répandu dans votre langage, a l’impétuosité du fleuve qui vient d’en haut et réjouit la cité de Dieu[7].

5. Mais quelle vertu peut produire en nous cette mort évangélique, si ce n’est la, charité, qui est forte comme la mort ? Elle efface pour nous et détruit si bien ce inonde, qu’elle fait l’effet de la mort en nous attachant au Christ, vers lequel nous ne pouvons nous tourner qu’en nous séparant des choses du temps, et avec qui nous ne pourrons vivre qu’en mourant à tout ce qui est humain. Nous ne croyons pas que, pour nous, ce soit vivre que de regarder le monde et d’en user, parce que notre partage, c’est la mort du Christ, et que nous ne serons point associés à la gloire de sa résurrection, si nous n’imitons sa mort sur la croix par la mortification de nos membres et de nos sens. Ce n’est donc pas selon notre volonté qu’il nous faut vivre, mais selon la volonté du Christ, laquelle est notre sanctification ; il est mort pour nous, et il est ressuscité, afin que nous vivions pour lui ; il nous a donné son esprit comme gage de sa promesse, et a placé dans les cieux, comme gage d’une bienheureuse vie, son corps, qui est le chef du nôtre. Aussi notre attente maintenant est le Seigneur, ainsi que la substance qu’il s’est unie pour la faire vivre en lui et par lui ; car il s’est conformé au corps de notre humilité pour nous conformer au corps de sa gloire[8] et nous placer avec lui dans les célestes demeures. C’est pourquoi ceux qui auront été jugés dignes de l’éternelle vie, seront dans la gloire de son royaume, afin qu’ils soient avec lui, comme dit l’Apôtre[9], et qu’ils demeurent avec lui, comme le Seigneur l’a dit lui-même à son Père : « Je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi[10]. »

6. C’est sans doute ce que vous lisez dans les psaumes à l’endroit où il est écrit : « Heureux ceux qui habitent dans votre maison ; ils vous loueront éternellement[11]. » Je crois que ces divines louanges seront chantées avec des voix, malgré les changements que recevront les corps des saints ressuscités, pour devenir semblables au corps da Seigneur après sa résurrection : en elle a brillé

  1. Matth. XI, 27.
  2. Ps. XXXVI, 37.
  3. Matth. V, 4.
  4. Ps. CXIV, 9.
  5. Rom. XII, 16.
  6. Ps. CXI, 2 et 3
  7. Ps. XIII, 5.
  8. Philip. III, 21.
  9. I Thess. IV, 16.
  10. Jean, XVII, 24.
  11. Ps. LXXXIII, 5