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ses livres ne peut se garder aussi pur que le texte des livres canoniques traduits en tant de langues et protégés par le respect successif des générations ; et pourtant il s’est trouvé des imposteurs pour produire bien des choses sous le nom des apôtres. Ces coupables efforts ont été vains : nos saintes Écritures sont si vénérées, si lues, si connues ! Mais cet effort d’une audace impie, en s’attaquant à ce qui était appuyé sur une telle base de notoriété, a prouvé ce qu’on pourrait tenter contre des livres non établis sur l’autorité canonique.

39. Nous ne nions pas cependant que Cyprien ait pensé ce qu’on lui prête, et cela pour deux raisons : la première, c’est que son style a une certaine physionomie à laquelle on peut le reconnaître ; la seconde, c’est que notre cause s’y trouve victorieusement démontrée contre vous, et que le motif de votre séparation, c’est-à-dire la crainte des souillures par les fautes d’autrui, n’en est que plus facile à détruire. Car on voit par les écrits de Cyprien qu’on demeurait en communion avec les pécheurs, puisqu’on admettait dans l’Église ceux qui, selon vous et selon le sentiment que vous lui attribuez étaient sans baptême ; et que pourtant l’Église n’avait pas péri, mais que le froment du Seigneur, répandu à travers tout l’univers, était resté dans son honneur et sa vertu. Si donc le trouble de votre défaite vous fait chercher un refuge dans l’autorité de Cyprien, comme on cherche un port, vous voyez contre quel écueil vient donner votre erreur ; mais si désormais vous n’osez plus vous réfugier de ce côté, vous ne pouvez plus lutter, vous êtes en plein naufrage.

40. Ou Cyprien n’a pas tout à fait pensé comme vous le dites, ou bien dans la suite il s’est rectifié conformément aux règles de la vérité, ou bien il a couvert par l’abondance de sa charité cette tache de son cœur si pur, en défendant l’unité de l’Église qui s’étend sur toute la terre, et en maintenant avec persévérance le lien de la paix ; car il est écrit : « La charité couvre la multitude des péchés.[1] » Ajoutez que s’il y a eu quelque chose à retrancher dans cette branche d’une belle fécondité, le père de famille l’a taillée avec le fer du martyre : « Mon père, dit le Seigneur, taille la branche qui en moi donne du fruit, pour qu’elle en donne davantage[2]. » D’où est venue à Cyprien cette grâce, sinon de sa persistance à demeurer attaché à la vigne qui se répand au loin, et à ne pas abandonner la racine de l’unité ? Car il ne lui eût servi de rien de livrer son corps aux flammes, s’il n’avait pas eu la charité[3].

41. Voyez encore un peu, dans les écrits de Cyprien, combien il juge inexcusable celui qui, dans l’intérêt de sa propre justice, se sépare de l’unité de l’Église (divinement promise et accomplie au milieu de toutes les nations), et vous comprendrez davantage la vérité de la sentence que je vous rappelais plus haut : « Le fils méchant se donne pour juste, mais il ne saurait laver la souillure de sa séparation. » Dans une lettre[4] adressée à Autonien, il touche à ce qui nous occupe en ce moment ; mais il vaut mieux citer ici ses paroles : « Parmi les évêques nos prédécesseurs de cette province, quelques-uns pensèrent qu’il ne fallait pas donner la paix aux impudiques, et ils fermèrent absolument aux adultères les portes de la pénitence ; ils ne se retirèrent pas pour cela de la communion de leurs collègues, et ne rompirent pas l’unité de l’Église catholique par la dureté ou l’opiniâtreté de leur jugement ; ils ne crurent pas que celui qui refusait la paix religieuse aux adultères dût se séparer de ceux qui la donnaient. Pourvu que le lien de la concorde demeure, et que le sacrement de l’Église catholique soit toujours indissoluble, chaque évêque règle sa conduite comme il l’entend, sauf à rendre compte à Dieu de ce qu’il aura fait. » Que dites-vous à cela, mon frère Vincent ? Certes vous voyez que ce grand homme, cet évêque ami de la paix, cet intrépide martyr n’a rien eu plus à cœur que de maintenir le lien de l’unité. Vous le voyez en travail, non-seulement pour faire naître ceux qui ont été conçus dans le Christ, mais encore pour empêcher que ceux qui sont déjà nés ne meurent en sortant du sein de la mère.

49. Remarquez ce que Cyprien a rappelé pour condamner les séparations impies. Si les évêques qui admettaient les adultères à la réconciliation communiquaient avec eux, ceux qui refusaient l’admission n’étaient-ils pas souillés par leurs relations avec les autres ? Et si, ce qui est vrai et ce qui est la règle de l’Église, on faisait bien de recevoir les adultères à la réconciliation, les évêques qui les repoussaient absolument de la pénitence commettaient

  1. I Pierre, IV, 8
  2. Jean, XV, 2
  3. I Cor. XIII, 3.
  4. Lettre LII.