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fois que votre obstination les oblige à se prononcer sur votre conduite !

15. Il vous était bien aisé de penser ceci et de vous dire à vous-mêmes : Si Cécilien a été innocent, ou bien s’il a été coupable sans qu’on ait pu le convaincre, en quoi cela est-il devenu un crime pour la société chrétienne répandue si au loin ? Pourquoi n’a-t-il pas été permis au monde chrétien d’ignorer ce que les accusateurs n’ont pu prouver ? Pourquoi ceux que le Christ a semés dans son champ, c’est-à-dire dans le monde, et qu’il veut laisser croître avec l’ivraie jusqu’à la moisson[1], pourquoi tant de milliers de fidèles de toutes les nations, dont le Seigneur a comparé la multitude aux étoiles du ciel et aux grains de sable de la mer, et qu’il a promis de bénir et qu’ira réellement bénis dans la race d’Abraham[2], cesseraient-ils d’être regardés comme chrétiens, parce que, dans un débat auquel ils n’ont pas assisté, ils ont mieux aimé s’en rapporter à des juges prononçant aux risques et périls de leur conscience qu’aux plaideurs vaincus devant le tribunal ? Certes le crime de personne ne souille celui qui l’ignore. Comment les fidèles répandus sur toute la terre auraient-ils pu connaître le crime des traditeurs, ce crime que les accusateurs, eussent-ils connu, n’ont cependant pas pu prouver ? Leur ignorance même montre assez qu’ils en ont été innocents. Pourquoi donc accuser des innocents de crimes faux, parce qu’ils n’ont rien su des crimes d’autrui, vrais ou imaginés ? Où sera donc la place pour l’innocence, si c’est un crime personnel que d’ignorer le crime d’autrui ? Et si tant de peuples sont innocents par le seul fait de leur ignorance, combien il a été criminel de se séparer de la communion de ces innocents ! Les crimes qu’on ne peut ni prouver ni faire croire aux innocents, ne souillent personne, si, même quand on les connaît, on les tolère pour ne pas se séparer de ces innocents. Car ce n’est pas à cause des méchants qu’il faut délaisser les bons, mais c’est à cause des bons qu’il faut tolérer les méchants : ainsi les prophètes ont toléré ceux contre qui ils disaient tant de choses, sans toutefois rompre la communion avec eux ; ainsi le Seigneur a toléré le coupable Judas jusqu’à sa fin qui fut digne de sa vie, et lui permit de partager avec des innocents la sainte Cène ; ainsi les apôtres ont toléré ceux qui, par envie, le vice du diable, annonçaient le Christ[3] ; ainsi Cyprien a toléré l’avarice de ses collègues, qu’il appelle une idolâtrie, d’après l’Apôtre[4]. Enfin ce qui s’est passé alors parmi les évêques, quand même, par hasard, quelques-uns.l'auraient su, demeure aujourd’hui ignoré de tout le monde si on ne fait pas acception de personne. Pourquoi donc tout le monde n’aime-t-il pas la paix ? Vous pourriez facilement penser ces choses, et peut-être les pensez-vous. Mais il eût mieux valu que vous eussiez aimé les biens temporels au point de craindre de les perdre en ne pas adhérant à la vérité reconnue, que d’aimer la vaine gloire des hommes au point de craindre de la perdre en rendant hommage à la vérité.

16. Vous voyez maintenant, je crois, qu’il n’y a pas à s’occuper de contrainte, mais qu’il s’agit de considérer à quoi on est contraint, si c’est au bien ou au mal. Ce n’est pas que personne puisse devenir bon malgré soi, mais la crainte de ce qu’on ne veut pas souffrir met fin à l’opiniâtreté qui faisait obstacle et pousse à étudier la vérité ignorée ; elle fait rejeter le faux qu’on soutenait, chercher le vrai qu’on ne connaissait pas, et l’on arrive ainsi à posséder de bon cœur ce qu’on ne voulait point. Ce serait inutilement peut-être, que nous Vous le dirions par quelques paroles que ce fût, si de nombreux exemples n’étaient pas là pour l’attester. Ce ne sont pas seulement tels ou tels hommes, mais plusieurs villes que nous avons vues donatistes et que nous voyons maintenant catholiques, détestant vivement une séparation diabolique et aimant ardemment l’unité : ces villes se sont faites catholiques à l’occasion de cette crainte qui vous déplaît ; elles se sont faites catholiques par les lois des empereurs, depuis Constantin devant qui vos pères accusèrent Cécilien, jusqu’aux empereurs de notre temps : ils maintiennent très justement contre vous la sentence de celui que choisirent vos pères et dont ils préfèrent le jugement au jugement des évêques,

17. J’ai donc cédé aux exemples que mes collègues ont opposés à mes raisonnements[5] ; car mon premier sentiment était de ne contraindre personne à l’unité du christianisme, mais d’agir par la parole, de combattre par la discussion, de vaincre par la raison, de peur

  1. Matt. XIII, 24-30.
  2. Gen. XXII, 17, 18.
  3. Philip. I, 15-18.
  4. Coloss. III, 5
  5. Nous recommandons tout ce passage à l’attention sérieuse du lecteur.