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n’avait amené leur esprit à la recherche de la vérité ; si ce n’était point à cause de la justice, mais à cause de la perversité et de l’orgueil des hommes que leur stérile et vaine patience souffrait des châtiments temporels, ils ne trouveraient plus tard que les peines réservées à l’impie, auprès de ce Dieu dont ils auraient méprisé les doux avertissements et les paternelles corrections. Rendus dociles par cette considération, ils reconnaissaient bientôt, non pas dans les calomnies et les fables humaines, mais dans les livres saints, cette Église qu’ils voyaient de leurs propres yeux répandue dans tous les peuples, selon les promesses de ces divins oracles comme ils y avaient vu annoncé le Christ, qu’ils savaient avec une pleine certitude, même sans le voir, être au plus haut des cieux. Devais-je m’intéresser assez peu au salut de ces chrétiens, pour détourner mes collègues d’une paternelle conduite par suite de laquelle nous voyons beaucoup de donatistes déplorer leur ancien aveuglement ? Ils croyaient, sans le voir, que le Christ est élevé au-dessus des cieux ; cependant ils niaient, même en le voyant, que sa gloire fût répandue sur toute la terre, tandis que le prophète a compris l’un et l’autre dans ces paroles : « Élevez-vous au-dessus des cieux, ô Dieu ! et que votre gloire éclate sur toute la terre[1]. »

2. Nous aurions rendu le mal pour le mal à ces hommes autrefois nos ennemis acharnés et qui troublaient notre paix et notre repos par toutes sortes de violences et d’embûches, si, à force de mépris et de patience, nous n’avions rien imaginé, rien fait qui pût leur inspirer de la crainte et les corriger. Supposez quelqu’un qui verrait son ennemi, devenu frénétique dans un accès d’horrible fièvre, courir à la mort : si, au lieu de le saisir et de le lier, il lui permettait de courir jusqu’au bout, ne lui rendrait-il pas le mal pour le mal ? Il lui paraîtrait cependant bien désagréable et bien dur, pendant qu’en réalité il lui serait très-utile par sa compatissance ; mais revenu à la santé, celui-ci rendrait à son libérateur des grâces d’autant plus abondantes qu’il sentirait qu’il a été moins ménagé. Oh ! si je pouvais vous montrer combien déjà nous comptons même de circoncellions devenus catholiques déclarés, condamnant leur ancienne vie et l’erreur misérable par laquelle ils croyaient pour l’Église de Dieu tout ce que leur inspiraient leur audace inquiète ! Ils ne seraient point arrivés à cette santé de l’âme, si les lois qui nous déplaisent ne les avaient pas liés comme on lie des frénétiques. Il se rencontrait une autre sorte de malades gravement atteints qui n’avaient pas cette audace turbulente, mais qui, sous le poids d’une ancienne indolence, nous disaient : Vous avez raison, il n’y a rien à répondre ; mais il nous est pénible d’abandonner la tradition des parents ; n’était-il pas salutaire de secouer ces hommes-là par la crainte des peines temporelles, afin de les tirer d’un sommeil léthargique et de les réveiller pour les sauver dans l’unité ? Combien en est-il parmi eux qui se réjouissent maintenant avec nous, se reprochent l’ancien poids de leurs mauvaises œuvres, et avouent que nous avons bien fait de les molester, parce qu’ils auraient péri dans le mal d’une coutume assoupissante comme dans un sommeil de mort.

3. Il en est quelques-uns, me direz-vous, à qui ces peines ne profitent pas. Mais faut-il abandonner la médecine parce qu’il y a des malades incurables ? Vous ne songez qu’à ceux qui sont si durs qu’ils n’ont pas même accepté le châtiment ; c’est de tels hommes qu’il a été écrit : « J’ai flagellé en vain vos fils ; ils n’ont pas accepté le châtiment[2]. » Je crois néanmoins que c’est par amour et non par haine qu’ils ont été affligés. Mais vous devriez bien aussi faire attention au nombre si grand de ceux dont le salut nous réjouit. Si on les effrayait sans les instruire, ce ne serait qu’une méchante tyrannie ; et si la menace n’accompagnait pas l’instruction, endurcis par les vieilles habitudes, ils n’entreraient que nonchalamment dans la voie du salut ; car plusieurs, que nous connaissons bien, après avoir reconnu la vérité par les divins témoignages, nous répondaient qu’ils désiraient passer à la communion de l’Église catholique, mais qu’ils redoutaient les violentes inimitiés d’hommes pervers ; ils ont dû les braver pour la justice et pour l’éternelle vie ; mais en attendant qu’ils se fortifient, il faut soutenir leur faiblesse et non la désespérer. On ne doit pas oublier ce que le Seigneur lui-même a dit à Pierre encore faible : « Vous ne pouvez pas maintenant me suivre, mais vous me suivrez plus tard[3]. » Mais quand le bon enseignement et la crainte utile marchent ensemble, quand la lumière de la vérité chasse les ténèbres de l’erreur, et que la force de la crainte brise les liens de la mauvaise

  1. Ps. CVII, 6
  2. Jér. II, 30
  3. Jean, XIII, 36