Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/146

Cette page n’a pas encore été corrigée

occupent un moindre espace, et les plus grandes un espace plus étendu. Il n’en est pas ainsi du Dieu invisible et incorruptible, « qui seul a l’immortalité et habite une lumière inaccessible, ce Dieu que nul homme n’a vu et ne peut voir[1]. » Cela veut dire que Dieu ne peut pas être vu par l’homme avec ces mêmes yeux qui lui servent à voir les corps Car s’il était inaccessible aux âmes pieuses, on n’aurait pas dit. « Approchez-vous de lui et vous serez éclairés[2] ; » et s’il leur était invisible, on n’aurait pas dit : « Nous le verrons tel qu’il est. » Remarquez tout ce passage de l’Épître de saint Jean : « Mes bien-aimés, dit-il, nous sommes les enfants de Dieu, mais on n’a pas encore vu ce que nous serons. Nous savons que quand il aura apparu, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est[3]. » Ainsi, nous ne le verrons qu’autant que nous serons semblables à lui, comme maintenant nous le voyons d’autant moins que nous sommes plus loin de lui ressembler. Nous le verrons donc par où nous lui ressemblerons. Mais quel insensé dirait que c’est par le corps que nous sommes ou que nous serons semblables à Dieu ? Cette ressemblance est donc dans l’homme intérieur, « qui se renouvelle à la connaissance de Dieu selon l’image de celui qui l’a créé[4]. » Nous lui ressemblons d’autant plus que nous avons fait plus de progrès dans sa connaissance et son amour, parce que « quoique notre homme extérieur se détruise, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour[5]. » Mais quel que puisse être notre avancement spirituel dans cette vie, il y aura toujours bien loin de là à cette perfection de ressemblance qui rendra capable de voir Dieu, comme dit l’Apôtre, face à face[6]. Si par ces paroles nous voulons comprendre une face corporelle, il s’ensuivra que Dieu aussi doit en avoir une, et qu’il y aura une distance entre la nôtre et la sienne lorsque nous le verrons face à face. Or, s’il y a une distance, il y a une limite, il y a des membres d’une certaine grandeur, et d’autres absurdités impies à dire et à penser, par lesquelles l’homme animal, ne comprenant pas ce qui est de l’Esprit de Dieu[7], tombe dans les chimères les plus extravagantes.

4. En effet, parmi les partisans de ces folles rêveries, il en est qui soutiennent, d’après ce que j’entends, que maintenant nous voyons Dieu avec l’esprit, et que nous le verrons alors avec le corps ; et ils assurent que les impies même le verront ainsi. Voyez jusqu’à quel degré d’absurdité ils arrivent, avec cette témérité de langage qui s’en va impunément çà et là, sans que la crainte ou la honte lui imposent des limites ! Auparavant, ils disaient que le Christ n’avait donné qu’à sa propre chair le privilège de voir Dieu des yeux du corps ; ils ont ajouté, ensuite, que tous les saints, après la résurrection, verront Dieu de la même manière ; maintenant, ils accordent cette possibilité aux impies mêmes. Qu’ils donnent donc tant qu’ils veulent et à qui ils veulent : quand des gens donnent du leur, comment oser les contredire ? « Celui qui débite le mensonge ne débite que du sien[8]. » Mais vous, avec ceux qui tiennent la saine doctrine, gardez-vous de tirer rien de pareil de votre propre fonds, et lorsque vous lisez dans l’Écriture : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu[9], » comprenez par là que les impies ne le verront point : les impies ne sont ni heureux ni purs de cœur. Et, lorsque vous lisez : « Maintenant, nous voyons comme en un miroir et en des énigmes, mais, alors, nous verrons face à face[10], » comprenez que nous verrons alors face à face par où nous voyons maintenant comme en un miroir et en des énigmes. L’un et l’autre est une faveur réservée à l’homme intérieur, soit pendant qu’on marche avec la foi dans ce pèlerinage, où l’on n’a que le miroir et l’énigme, soit quand on est parvenu à la patrie où l’on contemple Dieu dans la Tision : c’est cette vision que l’Apôtre nous exprime par les mots face à face.

5. Que la chair, enivrée de pensées charnelles, écoute ceci : « Dieu est esprit, et c’est « pourquoi il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité[11]. » Si c’est en esprit qu’il faut l’adorer, à plus forte raison c’est en esprit qu’on le verra. Qui oserait affirmer que la substance de Dieu puisse être vue corporellement puisqu’il n’a pas voulu être corporellement adoré ? Mais ils croient raisonner subtilement et nous accabler par cette interrogation : Le Christ a-t-il pu, oui ou non, donner à sa chair le privilège de voir Dieu des yeux du corps ? – Si nous répondons que le

  1. I Timoth. VI, 16.
  2. Ps. XXXIII, 6
  3. I Jean, III, 2
  4. Coloss. III, 10
  5. II Cor. IV. 16
  6. I Cor. XIII, 16
  7. I Cor. II, 14.
  8. Jean, VIII, 44.
  9. Matth. V, 8.
  10. I Cor. XIII, 12.
  11. Jean, IV, 24