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en bon souvenir de moi, ô seigneur vraiment saint et bienheureux pape ! Si vous avez lu le livre des commentaires sur Jonas, je crois que vous aurez fait justice de la ridicule affaire de la citrouille. Si j’ai repoussé du style l’ami qui, le premier, s’est jeté sur moi avec l’épée, votre honnêteté et votre justice doivent blâmer l’accusateur, et non pas celui qui ne fait que répondre. Jouons, si vous le voulez, dans le champ des Écritures, mais ne nous blessons ni l’un ni l’autre.

LETTRE LXXXII.

(Année 405.)

Saint Augustin répond à la lettre où saint Jérôme a défendu son opinion sur le fameux passage de l’Épître aux Galates, et va au fond du débat avec une grande supériorité. Il se déclare converti au sentiment du docte solitaire en ce qui touche les traductions sur l’hébreu.

AUGUSTIN AU BIEN-AIMÉ SEIGNEUR, TRÈS-HONORABLE DANS LES ENTRAILLES DU CHRIST, AU SAINT FRÈRE JÉRÔME, SON COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. J’ai envoyé, il y a déjà longtemps, à votre charité une longue lettre, en réponse à celle que vous vous rappelez m’avoir adressée par votre saint fils Astérius, devenu non-seulement mon frère, mais mon collègue. Je ne sais pas encore si elle a mérité de parvenir entre vos mains ; je ne vois rien par où je le puisse pressentir, sauf l’endroit de votre lettre, confiée à notre cher frère Firmus, où vous me dites que, si vous avez repoussé du style celui qui vous a, le premier, attaqué avec l’épée, mon honnêteté et ma justice doivent blâmer l’agression, et non pas la réponse : voilà le seul et faible indice qui me donnerait à penser que vous avez lu ma lettre. J’y ai déploré qu’une discorde si déplorable ait fait place, entre vous, à une amitié dont on se réjouissait pieusement partout où la renommée l’avait répandue. Je n’ai pas fait cela en blâmant votre fraternité, à laquelle je n’oserais supposer ici aucun tort ; seulement, je gémissais sur cette misère de l’homme qui n’est pas sûr, quelle que soit sa charité, de rester fidèle à ses amitiés. Mais, j’aurais mieux aimé apprendre par vous si vous m’accordiez le pardon que je vous avais demandé ; je souhaite que vous me le montriez plus clairement ; il me semble, du reste, que vous m’avez pardonné, si j’en juge par un certain air plus épanoui que j’ai remarqué dans votre lettre : toutefois, j’en suis à ne pas savoir si, en écrivant cette dernière, vous aviez ; lu la mienne.

2. Vous demandez, ou plutôt vous commandez avec la confiance de la charité, que nous jouions dans le champ des Écritures, sans nous blesser l’un l’autre. Autant que cela dépend de moi, j’aimerais ici quelque chose de plus sérieux qu’un jeu. S’il vous a convenu d’employer ce mot en vue d’un travail facile, je désire plus, je l’avoue, de votre bonté, de vos forces, de votre docte sagesse, des anciennes et laborieuses habitudes d’un esprit pénétrant qui a su se créer des loisirs féconds : ce ne sera pas seulement avec la science, ce sera sous l’inspiration même de l’Esprit-Saint, afin que, dans ces grandes et difficiles questions, vous m’aidiez, non pas à parcourir en jouant le champ des Écritures, mais à franchir les montagnes où je perds haleine. Si vous avez cru devoir dire : Jouons, à cause de la bonne humeur qu’il convient de garder dans les discussions entre amis, soit qu’il s’agisse de questions claires et aisées, ou de questions ardues et difficiles, apprenez-moi, je vous conjure, comment nous pouvons en venir là. Alors, quand faute de promptitude d’esprit, si ce n’est d’attention, nous ne sommes pas de l’avis qui nous est présenté, et que nous cherchons à faire prévaloir un avis contraire, si nous nous laissons aller à quelque liberté, nous ne tomberons pas sous le soupçon de vanité puérile qui cherche la renommée en attaquant des hommes illustres ; et lorsque nous prenons des précautions de langage pour adoucir une certaine âpreté inséparable de toute réfutation, on ne dira plus que nous nous servons d’une épée frottée de miel. J’ignore donc quel heureux mode de discussion vous proposeriez, pour éviter ce double défaut ou en détourner le soupçon, à moins qu’il ne consiste à toujours approuver le savant ami avec lequel on discute une question, et que la plus petite résistance demeure interdite, même pour demander à s’instruire soi-même.

3. C’est alors assurément qu’on jouerait comme dans un champ sans l’ombre d’une crainte d’offense ; mais à un tel jeu il serait bien étonnant qu’on ne se jouât pas de nous. Quant à moi, je l’avoue à votre charité, j’ai appris à ne croire fermement qu’à l’infaillibilité des auteurs des livres qui sont déjà appelés canoniques ; à eux seuls je fais cet honneur et je témoigne ce respect. Si j’y rencontre quelque chose qui paraisse contraire à la vérité, je ne songe pas à contester, mais je me dis que l’exemplaire est défectueux, ou bien que le