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chapitre treizième.

enseignent l’erreur ! » Dans cette lettre à Eusèbe, Augustin souhaite encore de pouvoir déterminer Proculéien à accepter une conférence ; il se contentera de dix témoins honorables comme le désire Proculéien. L’évêque donatiste aurait voulu qu’Augustin se fût rendu à l’assemblée donatiste de Constantine, et voudrait encore qu’il parût dans le concile que les schismatiques doivent tenir à Milève. Mais Augustin déclare qu’il n’a rien à entreprendre hors de son diocèse, à moins que ses confrères ne l’appellent ; il n’est chargé que de l’Église d’Hippone, et n’a affaire qu’à Proculéien. Si l’évêque donatiste d’Hippone se trouve trop faible pour la lutte, il peut appeler à son secours ceux de ses collègues qu’il lui plaira de choisir.

« Après tout, ajoute Augustin, je ne comprends pas ce qu’un vieux évêque comme Proculéien (car il se prétend évêque) peut craindre en moi, qui ne suis qu’un novice : serait-ce ma connaissance des lettres humaines qu’il n’a peut-être point apprises, ou auxquelles il s’est peu appliqué ? Mais qu’importent les lettres humaines dans une question qui se doit décider uniquement par l’Ecriture, par les registres publics ou les actes des Églises ? Il doit être bien plus habile que moi dans ces choses-là, dont il s’occupe depuis si longtemps. Cependant nous avons présentement ici mon collègue Samsucius, évêque de Tours[1] (en Numidie) ; il n’a jamais étudié les belles lettres : « qu’il soit là et que Proculéien confère avec lui. Comme je mets ma confiance dans le nom du Christ, je prierai Samsucius de prendre ma place dans cette affaire, et il ne me le refusera pas ; le Seigneur l’aidera, j’en ai la confiance : il l’aidera dans son combat pour la vérité ; son langage est inculte, mais il est instruit dans la vraie foi. Il n’y a donc pas de raison pour que Proculéien nous renvoie à je ne sais quels autres athlètes donatistes, et ne veuille pas terminer entre nous ce qui nous regarde. Toutefois, comme je l’ai dit, je ne fuis pas la a lutte avec ceux-là, s’il les appelle à son aide. »

Proculéien reculait devant la conférence qu’il avait paru d’abord désirer ; il avait peu de goût pour une grave dispute, et préférait s’en rapporter au jugement de Dieu ; c’était plus commode pour l’amour-propre et pour l’erreur, et, pendant ce temps-là, le schisme pouvait poursuivre le cours de ses violences.

Eusèbe, à qui Augustin avait eu recours, semblait décliner toute intervention, et ne voulait pas, disait-il, se rendre juge entre des évêques ; Augustin n’avait jamais entendu lui donner cette mission, et ne s’était adressé à lui que pour constater des faits ; c’est ce qu’il tient à préciser dans une nouvelle lettre écrite à Eusèbe[2]. On prétend que Proculéien n’aurait pas reçu dans sa communion le jeune homme si gravement coupable envers sa mère, s’il avait su toutes ses fureurs ; eh bien, aujourd’hui qu’il le tonnait, pourquoi ne le chasse-t-il pas de sa communion ? Augustin dénonce à Eusèbe un autre fait : un sous-diacre de l’Église de Spare entretenait des relations suspectes avec des vierges consacrées à Dieu ; on voulait le tirer du désordre, et comme il méprisait les avis salutaires de ses chefs, il fut privé de sa cléricature. Irrité de ce châtiment, le sous-diacre passa dans les rangs des donatistes, qui le rebaptisèrent. Deux de ces vierges, qui faisaient valoir avec lui un fonds appartenant à l’Église, l’avaient suivi et avaient été rebaptisées aussi. Depuis lors, le sous-diacre courait avec des troupes de circoncellions et de femmes vagabondes, et goûtait toute l’impure liberté que lui refusait l’Église catholique. Il faut qu’Eusèbe en informe Proculéien, afin que l’évêque donatiste rue garde pas dans sa communion un homme qui s’y est jeté par le seul dépit d’avoir subi une dégradation, en punition de ses dérèglements. Ce n’est pas ainsi que procède Augustin vis-à-vis des clercs donatistes dégradés qui se présentent pour entrer dans la communion catholique ; il ne les reçoit qu’à la condition qu’ils subiront l’humiliation de la pénitence. La dénonciation de ces faits à Proculéien, par un acte publie, est un droit dont nul ne peut dépouiller Augustin dans une ville romaine.

En terminant sa lettre, le coadjuteur de Valère signale à Eusèbe des traits où se révèle son caractère doux et patient. La fille d’un fermier de l’Église d’Hippone, reçue catéchumène parmi les catholiques, avait été gagnée par les donatistes, rebaptisée et mise au rang des vierges. Son père voulait la faire rentrer de force dans la communion catholique ; Augustin déclara qu’il ne la recevrait que si elle revenait librement et de son propre choix ; or la jeune fille ne se montrait pas disposée à ce retour ; le fermier croyait devoir employer les coups pour lui inspirer des sentiments meilleurs ; mais

  1. Episcopus turensis.
  2. Lettre 35.