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chapitre treizième.

sérieux sans doute, mais, jusqu’à un certain point, embarrassants par la multitude des paroles. Il demande aussi au saint époux de Thérasie les ouvrages où le très-saint pape[1] Ambroise combat avec étendue et solidité l’orgueilleuse ignorance de quelques hommes qui prétendent que Jésus-Christ a beaucoup appris dans les livres de Platon. Ces ouvrages de saint Ambroise ne nous sont point parvenus. Nous n’avons pas non plus l’ouvrage de Paulin contre les païens, qui excitait la vive et pieuse curiosité de l’évêque d’Hippone. Nous avons parlé ailleurs[2] et avec grand amour du Solitaire de Nole, esprit pénétrant et imagination brillante, qui abandonna le culte des Muses et les grandeurs du siècle pour le divin crucifié du Calvaire.

Paulin exprimait les sentiments des catholiques, ses contemporains, lorsque, dans sa lettre à Romanien[3], il célébrait comme un bonheur pour l’Église l’avènement d’Augustin à l’épiscopat. Les Églises d’Afrique sont assez favorisées pour recevoir les paroles de vie de la bouche de ce grand homme, dont l’élévation nouvelle n’est qu’une effusion plus abondante des bienfaits du Seigneur. La consécration d’Augustin ne donnait pas un successeur au vénérable Valère, mais seulement un aide, un compagnon : l’Église d’Hippone a pour évêque Augustin sans avoir perdu Valère. C’est la récompense de la simplicité et de la pureté de cœur du saint vieillard. « Réjouissons-nous donc, dit Paulin, en celui qui seul sait accomplir de grandes et d’admirables choses, et qui fait que plusieurs sont comme un seul dans une même demeure. Sa miséricorde a visité son peuple ; il a élevé une forteresse dans la maison de David, son fils ; il a envoyé du renfort à son Église pour briser les cornes des pécheurs, comme dit le prophète, c’est-à-dire pour terrasser les manichéens et les donatistes. »

La dernière moitié de cette lettre de Paulin à Romanien est adressée au jeune Licentius qu’Augustin aimait d’un cœur de mère et qui, seul de sa famille, continuait à vivre loin de la vérité religieuse ; Augustin en avait fait dans les lettres un digne fils de Romanien ; que ne peut-il en faire en religion un digne fils d’Augustin ! Licentius s’était vu en songe consul et pontife ; qu’il marche dans la voie du Christ, et ce songe se réalisera pour lui. Il méritera d’être élevé au sacerdoce qui est une sorte de consulat spirituel. Paulin craint de lui parler un trop rude langage : il se souvient d’une lettre en vers que Licentius a écrite à Augustin ; il se rappelle l’amour du fils de Romanien pour la musique des vers, amour qu’il avait éprouvé, lui aussi, aux jours de sa jeunesse ; pour mieux trouver le chemin de ce cœur rebelle à la foi nouvelle, pour le porter vers la source éternelle de toute harmonie, il appelle la poésie à son secours. Le Solitaire de Nole demande à Licentius de ne pas juger sévèrement ces vers à cause de ses tendres et paternelles intentions, et surtout parce qu’il y trouve le nom de Jésus-Christ, ce nom qui est au-dessus de tous les noms. La pièce ne manque pas d’élégance et renferme quelques beaux vers. Paulin, invoquant souvent la tendresse et l’autorité d’Augustin, montre au fils de Romanien la vanité de ses joies à Rome, la vanité de ses espérances, et lui fait comprendre qu’il n’y a plus de dignité, de vie et de grandeur qu’avec Jésus-Christ. Il y a quelque chose de charmant dans cet appel à la séduction des vers pour mieux faire accepter la foi chrétienne à un jeune ami de la poésie romaine. Tant de soins et de paternelles consolations ne furent pas perdus ; Licentius mourut chrétien et jeune encore[4].

Lorsque Augustin fut élevé à l’épiscopat, les donatistes couvraient l’Afrique ; la plus grande partie des chrétiens de ces contrées appartenait au schisme. L’Église africaine en était dévorée comme d’une effroyable plaie, et cette plaie s’élargissait sans cesse. La question religieuse avait établi la division dans les foyers domestiques ; l’unité morale des familles était brisée. L’époux et l’épouse n’avaient pas le même autel ; ils juraient par Jésus-Christ de rester unis l’un à l’autre, et n’étaient pas d’accord sur Jésus-Christ ; les enfants dormaient sous le même toit que leurs pères, et priaient dans des églises différentes ; ils disputaient sur l’héritage du Sauveur avec ceux dont ils espé-

  1. Le titre de pape se donnait alors à tous les évêques.
  2. Histoire de Jérusalem, chapitre 26.
  3. Lettre 32.
  4. Cette fin du fils de Romanien nous a été connue par une récente découverte. Le chevalier de Rossi, dont les investigations intéressantes ne sauraient être assez louées, a trouvé, en 1863, autour de la basilique de Saint-Laurent, hors des murs, un sarcophage chrétien sur lequel est inscrit le nom de Licentius, sénateur, mort à Rome en 406. On s’étonne de ne pas rencontrer dans toute la correspondance de saint Augustin, et dans aucun de ses écrits, la moindre trace d’une conversion qui dut être une joie si vive pour le cœur du saint évêque. Vu témoignage de cette joie se trouve sans doute dans quelque lettre de l’évêque d’Hippone, mais nous n’avons pas toutes les lettres écrites par saint Augustin.