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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

Augustin avait déclaré que rien ne pouvait leur être imputé à péché, si elles agissaient par contrainte, et non point par leur volonté propre[1]. L’irrésistible pouvoir de la délectation terrestre dont nous parlent les jansénistes, est tout à fait semblable à l’invincible détermination au mal dont parlaient les manichéens ; Augustin renversait d’un seul coup ces deux sortes d’hérétiques, lorsqu’il écrivait : « Si la nécessité est telle que la résistance soit impossible, ces âmes ne pèchent point[2]. » Nous ajouterons avec saint Augustin que la délibération est la marque d’une volonté libre, et que le repentir, après une action mauvaise, témoigne qu’on pouvait bien faire[3].

L’ami intime d’Augustin, Alype, évêque de Thagaste, avait envoyé à saint Paulin de Nole les principaux travaux du grand athlète de la foi contre les manichéens. En 394, Paulin, écrivant à Alype en son nom et au nom de sa femme Thérasie, unie désormais à Jésus-Christ seul, le remerciait de l’envoi de ces livres, qu’il regardait comme des ouvrages inspirés d’en-haut. Dans une lettre à Augustin lui-même, il parlait des cinq ouvrages envoyés par Alype, qui, disait-il, nourrissaient son âme et guérissaient ses maux. « Ô véritable sel de la terre ! s’écriait le prêtre de Nole en s’adressant au prêtre Augustin ; ô véritable sel de la terre, qui préservez nos cœurs et les empêchez de s’égarer dans les illusions du siècle ! ô lampe dignement placée sur le chandelier de l’Église, dont la lumière, nourrie de l’huile d’allégresse de la mystérieuse lampe aux sept dons, se répand au loin sur les villes catholiques, et chasse les ténèbres par les clartés resplendissantes d’un discours de vérité[4] ! » Le grand Paulin est plein d’amour et d’admiration pour Augustin ; il est heureux de ces cinq livres, sorte de pentateuque contre le manichéisme, qui lui permettent de s’entretenir chaque jour avec lui, et de respirer le souffle de sa bouche. « Elle est (votre bouche), lui dit-il, comme une source d’eau vive, comme une et veine de la fontaine éternelle, parce que le Christ est devenu en vous la source qui rejaillit dans l’éternelle vie ; c’est en vous que mon âme en a soif, et ma terre a désiré s’enivrer de la fécondité de votre fleuve[5] » Saint Paulin envoyait à saint Augustin, en même temps que sa lettre, un pain, en signe d’union et d’amitié. C’était alors l’usage que les évêques et les prêtres envoyassent à leurs amis des pains, en signe de communion ; le plus souvent ces pains avaient été bénits à table. Une marque particulière d’honneur, c’était d’envoyer un pain sans le bénir, pour que l’évêque ou le prêtre qui devait le recevoir le bénît lui-même : En adressant un pain à Augustin, saint Paulin le priait d’en faire un pain de bénédiction.

Nos lecteurs n’ont pas oublié le jeune Licentius, qui prenait une si intéressante part aux entretiens philosophiques de Cassiacum. L’année 395 nous fait songer aux vives inquiétudes d’Augustin sur ce jeune homme, dont les voies n’étaient pas selon Dieu. Licentius resté en Italie, à Rome peut-être, avait écrit une épître en vers au prêtre d’Hippone, son ancien maître ; au milieu du fracas mythologique de cette épître, le fils de Romanien regrettait les jours passés dans la retraite de Cassiacum auprès d’Augustin, s’attristait de sa vie, et célébrait le génie et les vertus de l’homme dont l’absence était pour lui un malheur de toutes les heures. Il s’affligeait des liens qui le retenaient, et qu’il était prêt à briser, disait-il, pour aller joindre Augustin au premier signal. Augustin lui répondit par une touchante lettre[6] où il considère les affaires de ce monde, comme un bruit importun que fait autour de nous la chaîne de notre mortalité. Il parle à Licentius des fers pesants d’ici-bas et du joug léger de Jésus-Christ ; lui reproche de s’occuper de la perfection de ses vers, et de laisser le désordre dans son cœur ; de craindre d’offenser les oreilles des grammairiens par des syllabes mal arrangées, et de ne pas craindre d’offenser Dieu par la dépravation des mœurs. Il l’engage à aller voir Paulin à Nole, à apprendre de ce saint homme comment on passe des joies humaines aux joies plus sûres de l’Évangile. C’est à Romanien qu’Augustin remettait sa lettre pour Licentius ; il lui remettait aussi une lettre pour saint Paulin[7], dont les dernières pages recommandent au saint personnage de Nole celui qu’il appelait son fils. Le prêtre d’Hippone demandait au prêtre de Nole, comme le plus grand témoignage d’amitié, un sévère examen de ceux de ses ouvrages qui étaient entre ses mains ; il le conjurait d’être pour lui ce juste que souhaitait David pour le corriger et le châtier : Paulin ne

  1. Chap. 12, 17.
  2. Si ita coguntur ut resistendi potestas non sit, non peccant.
  3. Chap. 14, 22.
  4. Lettre 25.
  5. Ibid.
  6. Lettre 21.
  7. Lettre 27.