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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

rendent les honneurs divins à un seul Dieu, créateur de toutes choses.

La correspondance de Maxime avec Augustin eût été un très-curieux monument de cette époque ; ce qu’on vient de lire fait vivement regretter que toutes ces lettres ne nous soient point parvenues. Rien de plus intéressant que de prendre sur le fait, dans les libres épanchements de la confiance, le philosophe païen de Madaure se débattant sous le triomphe du christianisme, cherchant à raviver, à l’aide des souvenirs, un culte frappé de mort, abandonnant volontiers l’Olympe, mais tenant bon pour les dieux du lieu natal, subissant la lumière nouvelle par la croyance à un Dieu souverain et créateur, et se vengeant en quelque sorte de cet aveu par des railleries adressées à des noms de martyrs chrétiens dont il ne respecte pas l’origine africaine.. Cette attitude du paganisme lettré exprime bien les derniers efforts d’un monde qui s’efface.

Augustin avait prêté quelques-uns de ses ouvrages contre les manichéens à un de ses amis, appelé Célestin, le même peut-être qui fut pape trente ans après. Il lui écrit pour les redemander, et, touchant rapidement aux questions métaphysiques, il divise en trois classes l’universalité des êtres

Il y a une nature muable par rapport au lieu et au temps, c’est le corps.

Il y a une nature muable par rapport au temps et non pas au lieu, c’est l’âme.

Enfin il y a une nature qui n’est muable ni par rapport au lieu ni par rapport au temps, c’est Dieu.

Tout ce qui est muable, de quelque manière qu’il le soit, est créature ; et ce qui est immuable, c’est le Créateur.

Après avoir établi comme trois régions, celle des corps, celle de l’intelligence et celle de la divinité, Augustin conclut en disant que le chrétien ne s’attache point aux êtres inférieurs, ne s’arrête pas avec un complaisant orgueil dans la région du milieu, et qu’il devient ainsi capable de s’unir à l’être souverain qui est la félicité par essence. C’est en deux mots la religion chrétienne.

Le fils de Monique était déjà comme un astre levé dans le ciel de la vérité catholique ; on le saluait de loin, on marchait à sa lumière. On lui adressait des questions, il y répondait ; ses livres allaient dissiper les doutes ou détruire les vains systèmes. Avec quelle humilité il en

parlait ! Dans une lettre à Gayus, qui accompagnait un envoi de tous ses ouvrages, Augustin lui dit que s’il y trouve des choses bonnes et vraies, il ne doit pas les regarder comme venant de lui, mais comme lui ayant été données. Il ajoute avec profondeur en s’adressant à Gayus :

« Lorsque nous lisons quelque chose de vrai, ce n’est ni le livre, ni l’auteur même, qui a nous le fait trouver vrai : c’est quelque chose que nous portons en nous-mêmes, bien au-dessus des corps et de la lumière sensible, et qui est une impression de l’éternelle lumière de la vérité[1]. » Augustin ne manque pas de répéter que les erreurs de ses ouvrages viennent seules de lui : ce sont les traces des ténèbres de l’esprit de l’homme.

Dans une lettre à un bon chrétien, nommé Antonin, Augustin se plaint de la fausse piété de son temps. Sans prononcer le nom des donatistes, il fait vaguement allusion à leur schisme, qui paraît occuper tristement son esprit.

Depuis qu’Augustin avait été conduit à la foi, il n’avait pas cessé de publier les vérités à mesure qu’elles s’étaient présentées à son intelligence. Mais pour que l’influence d’un tel génie et d’une telle sainteté fût plus immédiate, plus étendue et plus puissante, il fallait qu’Augustin prit rang dans le sacerdoce catholique ; il fallait qu’il devint plus particulièrement apôtre par la double dispensation de la divine parole et des sacrements. L’heure était venue où l’église, pour laquelle il avait été si providentiellement tiré de l’erreur, devait le recevoir parmi ses ministres.

Au commencement de l’année 391, un intérêt de religion l’ayant amené à Hippone, il entra dans l’église au moment où l’évêque Va]ère annonçait aux fidèles qu’il avait besoin d’un prêtre ; la renommée d’Augustin était déjà partout répandue en Afrique ; il est reconnu dans le temple ; la multitude, poussée par une inspiration soudaine, l’entoure, se saisit respectueusement de lui, et le désigne pour prêtre ; l’humilité, la sainte frayeur d’Augustin opposent une résistance inutile. Il ne lui reste plus qu’à se préparer à l’ordination.

Dans un de ses sermons[2], saint Augustin a parlé de son élévation au sacerdoce avec des détails que nous devons recueillir. Le solitaire, s’apercevant du bruit de son nom parmi les

  1. Lettre 19.
  2. Serm. 19. De diversis.