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chapitre dixième.

perdait pas de vue l’intérêt éternel de son ami, finit sa lettre en l’excitant à dédaigner les choses passagères pour chercher les biens impérissables. Tenons-nous élevés au-dessus de tout ce que nous possédons dans ce monde : plus l’abeille a de miel, plus elle a besoin de ses ailes pour la sauver de son propre trésor, dans lequel elle s’enfoncerait et mourrait.




CHAPITRE DIXIÈME.




Correspondance de saint Augustin en 390. — Il est ordonné prêtre de l’Église d’Hippone. — Description d’Hippone. — Son état présent. — Lettre de saint Augustin à l’évêque de Valère.

Augustin et Maxime de Madaure, grammairien ou professeur de belles-lettres, s’écrivaient souvent ; il n’est resté de cette correspondance qu’une lettre de Maxime et une réponse d’Augustin. Le professeur de Madaure craint que ses paroles ne trahissent sa vieillesse ; peut-être avait-il été le maître du jeune Augustin, à l’époque où celui-ci étudiait à Madaure. Le vieux Maxime, encore païen, dit à Augustin que l’habitation des dieux sur le mont Olympe est une fable ; mais qu’une vérité : bien visible, c’est la protection accordée à Madaure par les divinités debout sur la place publique de la ville. Il croit à un Dieu souverain et éternel, père de toutes choses, dont nul ne sait le vrai nom, mais dont la puissance infinie est adorée sous des dénominations diverses. Il est furieux qu’on préfère des martyrs chrétiens d’Afrique, avec des noms barbares, tels que Mygdon, Sanaë, Namphamon, Lucitas ; à Jupiter, à Junon, à Minerve, à Vesta. Il lui semble voir, comme autrefois à la bataille d’Actium, les monstres de l’Egypte lancer des traits impuissants contre les dieux des romains. Maxime voudrait qu’Augustin, mettant de côté sa vigoureuse éloquence, reconnue de chacun, et sa terrible dialectique, l’instruisît sur ce Dieu, qui est adoré dans le secret des mystères chrétiens. Quant aux païens, ils invoquent leurs dieux au grand jour, et tout le monde peut entendre leurs prières. — Maxime ne doute pas que le fer ou le feu ne détruise sa lettre ; mais ses paroles n’en subsisteront pas moins toujours dans l’âme des vrais adorateurs des dieux.

Augustin, dans sa réponse, raille les dieux de l’Olympe et ceux de la place de Madaure, signale le ridicule d’une opinion qui fait de la foule des dieux autant de membres du Dieu véritable, et ne comprend pas que Maxime s’égaie aux dépens de la bizarrerie de certains noms africaine inscrits au nombre des martyrs chrétiens ; le grammairien de Madaure trouve-t-il plus harmonieux les Euccadires qui figurent parmi les prêtres païens, les Abbaddires qui se montrent parmi les dieux ? Il n’appartient pas à des hommes graves de s’arrêter à la bizarrerie des noms. Au reste, le nom punique de Namphamon signifie un homme qui vient d’un pied propice[1], un homme de bon augure. Ce sens ne devrait pas déplaire à Maxime ; il se trouve dans les paroles d’Évandre[2] à Hercule, pour le prier d’agréer son sacrifice. Le goût et l’oreille d’un païen n’ont pas le droit d’être difficiles lorsqu’on peut leur rappeler le dieu Sterculius, la déesse Cloacine, la Vénus Chauve, la déesse de la Peur, la déesse de la Pâleur et la déesse de la Fièvre, et d’autres semblables à qui la superstition romaine a bâti des temples et offert des sacrifices. Pourquoi Maxime reproche-t-il aux chrétiens leurs assemblées secrètes et particulières ? Il oublie ce Liber qu’on ne laisse voir qu’à un petit nombre d’initiés. Faut-il parler de ces bacchanales où les décurions et les autres chefs de Madaure courent les rues comme des furieux ? Maxime, en voulant défendre les dieux, semble donc avoir voulu les exposer à la risée. S’il désire traiter gravement les questions religieuses, il doit s’y prendre autrement. Pour ce qui est de la prétendue adoration des morts chez les chrétiens, il faut que Maxime sache que les disciples de Jésus-Christ

  1. Pede secundo. Lettre 17.
  2. Énéide, liv. VIII.