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chapitre neuvième.

revêtue de la nature humaine, Dieu établit des signes ou des sacrements pour entretenir la société des peuples que le christianisme unirait ensemble. Cette société se compose d’une grande multitude de personnes libres, qui sont tenues de ne servir que Dieu seul. Les anciennes prescriptions, sortes de chaînes que les Juifs traînaient avec eux, sont abolies ; elles demeurent écrites uniquement pour le témoignage de notre foi et l’éclaircissement de nos mystères. Ces prescriptions ne lient plus les hommes en les rendant esclaves, mais exercent leur esprit en les laissant libres. Un même Dieu a inspiré les deux Testaments, en les proportionnant aux besoins des hommes, à des époques différentes. La Providence immuable gouverne diversement les créatures muables. On sait que les marcionites, les manichéens et autres hérétiques rejetaient l’Ancien Testament.

Voici qui est directement contre les manichéens.

L’être, à quelque degré qu’il soit, est un bien. Or tout bien est Dieu ou vient de Dieu. La corruption ou la mort sont un mal ; mais tout ce qui se corrompt, tout ce qui meurt est un bien. Le contraire de la corruption et de la mort est un certain ordre naturel, et cet ordre est un bien. Ces biens-là se corrompent, parce qu’ils ne sont pas des biens souverains Ainsi ces choses viennent de Dieu puisqu’elles sont bonnes ; mais elles ne sont pas Dieu ; parce qu’elles ne sont pas souverainement bonnes. Dieu, c’est le bien que la corruption ne peut atteindre.

La première corruption de l’âme, c’est la volonté de faire ce que la vérité souveraine lui défend. C’est ainsi que le premier homme a été chassé du paradis, et a passé dans ce monde, c’est-à-dire de l’éternité au temps, des richesses à la pauvreté, de la force à la faiblesse. « Par là, nous découvrons, dit le profond Augustin, qu’il existe un bien que l’âme raisonnable ne peut aimer sans péché, parce que l’ordre auquel il appartient se trouve au-dessous d’elle. »

La plume de fer (stylus ferreus) a été faite pour écrire d’un côté et pour effacer de l’autre. Elle est belle dans sa forme, et tout concourt à l’usage auquel elle est destinée. Mais s’il prenait à quelqu’un la fantaisie d’écrire du côté par où l’on efface, et d’effacer du côté par où l’on écrit, devrait-on accuser la plume d’être mauvaise ? Il en est de même de la volonté humaine appliquée aux choses morales.

La beauté du corps est la dernière de toutes, parce qu’elle est emportée dans une perpétuelle vicissitude. Les créatures qui apparaissent dans ce mouvement incessant ne peuvent subsister toutes en même temps. Les unes se retirent pour faire place à d’autres. Ce grand nombre de formes et de beautés qui passent, l’une après l’autre, dans la révolution des siècles, compose une seule beauté et une seule harmonie. Ces apparitions successives ne sont pas mauvaises quoique passagères, de même qu’un vers ne laisse pas d’être beau, quoiqu’on n’en puisse prononcer deux syllabes en même temps.

Il y a des gens qui aiment mieux les vers que l’art de faire les vers, préférant le plaisir de l’oreille à la satisfaction de l’esprit. Ainsi beaucoup de mortels aiment les choses temporelles sans songer à la Providence divine, qui forme et règle les temps ; dans leur amour des créatures passagères, ils ne peuvent souffrir de voir passer celles qui leur sont chères, semblables à un homme à qui on dirait un beau vers, et qui n’en voudrait écouter qu’une syllabe. Cependant on ne trouve personne qui écoute ainsi des vers, et le monde est plein de gens qui jugent de cette façon les choses humaines. Cela arrive parce que chacun peut aisément écouter, non-seulement tout un vers, mais tout un poème, au lieu que personne ne peut voir toute la suite des siècles. On prononce les vers devant nous, et on les soumet à notre jugement, et le temps s’écoule inexorablement devant nous, et nous fait souffrir ses vicissitudes. Ceux qui sont vaincus dans les jeux olympiques ne les trouvent plus beaux, et pourtant les jeux ne perdent rien de leur beauté, quoique les combattants y perdent l’honneur de la victoire. Le gouvernement du monde ne déplaît qu’aux méchants et aux damnés, à cause du misérable état où ils se trouvent. Mais le malheur est, pour l’homme vertueux, un sujet de louer Dieu, soit qu’il combatte encore et qu’il remporte des victoires sur la terre, soit qu’il triomphe dans le ciel.

Nos ancêtres ne se sont rendus à la foi chrétienne qu’après des miracles visibles. Depuis que les miracles ont servi à faire éclater la vérité, ils ne sont plus nécessaires. Après l’établissement de l’Église dans toute la terre, qu’est-il besoin de nouvelles preuves de la divinité de Jésus-Christ ?

Ici, comme en d’autres ouvrages, Augustin