Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

Toute existence tire son origine de Dieu, parce qu’il est le principe souverain de chaque chose. Il n’y a point de vie qui soit un mal en tant qu’elle est vie, mais seulement en tant qu’elle penche à la mort, et la mort de la vie n’est autre chose que la corruption ou la méchanceté. Les Latins lui ont donné le nom de nequitia, pour marquer qu’elle n’est rien, et c’est pourquoi ils appellent les méchants hommes du néant (homines nihil). La vie qui, par une défaillance volontaire, se sépare de son Créateur en se jetant dans l’amour des corps, contre la loi de Dieu, tombe peu à peu dans le néant.

Le corps conserve toujours l’alliance et l’harmonie de toutes ses parties, sans lesquelles il ne pourrait pas subsister. Il est créé par celui qui est le principe et l’origine de l’alliance et de l’harmonie de toutes les choses. Le corps ayant une beauté, sans laquelle il ne serait pas un corps, il s’ensuit que si on veut remonter au Créateur, il faut chercher celui qui est le plus beau de tous les êtres, puisqu’il est la source de toute beauté.

La mort ne vient pas de Dieu. « Dieu n’a point fait la mort, dit la Sagesse, et ne se réjouit point de la perte des vivants. »

Les choses ne meurent qu’en tant qu’elles conservent moins d’être ; elles meurent d’autant plus qu’elles sont moins.

Les âmes ont une volonté libre, et voilà pourquoi elles peuvent pécher. Dieu a jugé que ses serviteurs le serviraient mieux s’ils le servaient librement. Les anges servent Dieu librement, et leur adoration n’est utile qu’à eux-mêmes, et non pas à Dieu, parce que Dieu, étant par lui-même tout ce qu’il est, n’a pas besoin du bien d’un autre.

Les affections sont à l’âme ce que les lieux sont au corps ; l’âme se meut dans les affections de la volonté, comme le corps dans les espaces des lieux.

La déchéance primitive, ayant rendu notre corps sujet à la mort, nous a appris à nous détourner des plaisirs du corps pour nous porter vers l’essence éternelle de la vérité. La beauté de la justice se réunit ici à la beauté de la miséricorde : comme les biens inférieurs nous ont trompés par leur douceur, ainsi les peines nous instruisent par leur amertume[1]. Tout faible et tout corruptible que soit notre corps, il ne nous empêche pas encore de tendre à la justice et de nous abaisser sous la majesté du seul Dieu véritable. L’homme de bonne volonté qui se remet entre les mains de Dieu, trouve dans l’assistance d’en-haut le vertueux courage de triompher des peines de cette vie.

Arrivant à l’incarnation du Verbe, Augustin y découvre le plus grand témoignage de bonté et d’amour que Dieu pouvait donner aux hommes. Le Fils unique, consubstantiel et co-éternel au Père, en prenant notre humanité pour l’unir à lui, a montré combien la nature de l’homme est au-dessus du reste des créatures ; il aurait pu prendre, pour se révéler au monde, un corps céleste proportionné à la faiblesse de notre vue ; mais il s’est revêtu de la même nature qui devait être délivrée ; il s’est fait homme et a voulu naître d’une femme ; l’humanité tout entière en a été honorée. C’est par la persuasion seule que le Verbe fait chair a agi sur les hommes : il a fait des miracles pour prouver qu’il était Dieu ; il a souffert pour prouver qu’il était homme. Lorsqu’il parlait au peuple comme Dieu, il désavoua sa mère ; toutefois, dans son enfance, il était soumis à son père et à sa mère, selon la parole expresse de l’Évangile[2]. Le Verbe faisait voir, par sa doctrine, qu’il était Dieu, et par la différence et la succession des divers âges de la vie, qu’il était homme. Quand il voulut agir en Dieu, en changeant l’eau en vin, il dit à sa mère : Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue. Mais l’heure étant venue où il devait mourir comme homme, il reconnut cette même mère au pied de sa croix, et la recommanda à celui de ses disciples qu’il aimait le plus. Toute la vie humaine du Sauveur a été une instruction continuelle pour le règlement des mœurs. Sa résurrection a montré qu’il ne se perd rien de la nature de l’homme, rien ne périssant à l’égard de Dieu.

La manière dont la doctrine divine est enseignée dans la religion chrétienne est le chef d’œuvre de l’art d’instruire les hommes[3].

Grâce à l’obscurité des Écritures, nous mettons de l’ardeur à chercher la vérité, et nous éprouvons du plaisir à la trouver.

La piété commence par la crainte et s’achève par l’amour : c’est là toute l’économie de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Lorsque la grâce de Dieu descendit sur la terre par l’incarnation de la sagesse éternelle

  1. Et est justitiae pulchritudo cum benignitatis gratia concordans, ut quoniam bonorum inferiorum dulcedine decepti sumus, amaritudine paenarum erudiamur. Cap. 15.
  2. Et erat subditus illis.
  3. Chap. 17.