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chapitre septième.

gustin ne portait plus les vêtements africains ; il avait pris la longue robe noire des cénobites d’Orient avec un capuchon et une ceinture de cuir. Cette tunique noire de laine ou de toile sera désormais le costume d’Augustin ; il n’en prendra pas d’autre, même quand on l’aura élevé à la couronne épiscopale d’Hippone. Du jour où Augustin reçut le sceau de la régénération, il se constitua le défenseur des doctrines, et des intérêts catholiques ; Augustin sera fidèle à cette grande tâche jusqu’à sa dernière heure ! Ce fut dans l’été de 388 qu’il revint en Afrique ; Maxime venait d’être vaincu parle grand Théodose. Augustin avait quitté la contrée natale depuis cinq ans : quels changements accomplis depuis lors ! Il était parti avec le cœur rongé par les incertitudes philosophiques et religieuses, il revenait calme et fort, emportant au fond de l’âme le trésor de la vérité. Augustin rentra en Afrique par ce port de Carthage d’où il avait dit adieu à son pays, laissant sa mère seule et dans la douleur.

Son but était de chercher aux environs de Thagaste un asile pour l’étude et la contemplation. Avant de gagner la retraite, il s’arrêta quelque temps à Carthage, où ses oraisons aidèrent à rendre miraculeusement la santé à Innocentius[1]. Il y apprit une curieuse histoire de la bouche même de celui qui en avait été le héros. Un de ses anciens disciples, appelé Euloge, professait la rhétorique à Carthage pendant qu’Augustin était à Milan. Il arriva qu’un jour, la veille de sa leçon, Euloge, jetant un coup d’œil sur les pages du livre de Cicéron qui faisait le sujet de l’étude du lendemain, trouva un passage fort obscur dont il ne pouvait pénétrer le sens ; la nuit vint ; Euloge, livré à un embarras extrême, à une vive anxiété, demeura longtemps dans son lit sans fermer l’œil. À la fin il s’endormit de lassitude, et, durant ses courts instants de son sommeil, voilà que le professeur voit en songe Augustin, son ancien maître, qui lui explique l’endroit du livre de Cicéron dont il était si péniblement, occupé. « Ce ne fut pas moi, dit Augustin, mais mon image, et c’était à mon insu, car, en ce moment, séparé d’Euloge par l’étendue des mers, je dormais ou je faisais autre chose, mais à coup sûr je ne pensais pas aux soucis du jeune professeur de Carthage. Comment ces choses peuvent se faire, c’est ce que j’ignore[2]. » Il est probable qu’Euloge, dans son embarras, avait beaucoup pensé à Augustin, dont la sagacité lui était si connue. Toutefois l’histoire des phénomènes du sommeil n’offre certainement aucun trait plus étrange.

Augustin, dont l’esprit méditatif fuyait l’agitation des villes, se fit une vie solitaire aux environs de Thagaste. Il se débarrassa, au profit des pauvres, du peu de biens qu’il avait, s’entoura de ses fidèles amis et de quelques disciples, vécut en communauté, et se remit à écrire. Il acheva les livres des Mœurs de l’Église catholique, des Mœurs des manichéens et De la Grandeur de l’âme, qu’il avait commencés à Rome.

Ce dernier ouvrage[3] est un dialogue entre Augustin et Évode ; il résume les entretiens de ces deux amis sur la nature de l’âme, sur sa raison d’être, ses aspirations, sa force, son but. Ce livre est une grande date dans l’histoire de la philosophie. Il complète les Soliloques avec les plus merveilleux éclairs de génie métaphysique. Les principes qui s’y trouvent établis sont les guides immortels de la philosophie spiritualiste. C’est l’homme esprit dans toute sa gloire, et c’est aussi la gloire de Dieu éclatant surtout dans la création de l’esprit lui-même. Descartes est tout entier dans cette composition. Il ne s’est pas rencontré un génie plus fin, plus subtil, plus pénétrant qu’Augustin, et le livre De la Grandeur de l’âme est une des trois ou quatre productions où ce génie philosophique s’est le mieux montré. Nous ne nous expliquons pas qu’on ait pu agiter la question de savoir si cet ouvrage était bien réellement du fils de Monique. Si la forme même n’eût pas été une preuve suffisante, le doute n’aurait plus été permis en voyant l’évêque d’Hippone ranger ce livre au nombre des siens dans la Revue de ses ouvrages, en lisant la lettre[4] d’Augustin à Évode, alors évêque d’Uzale, écrite en 414, et dans laquelle l’évêque d’Hippone renvoie son ami au livre De la Grandeur de l’âme.

Ne laissons pas passer sans une mention sérieuse le livre des Quatre-vingt-trois questions. Depuis la conversion d’Augustin, chaque fois que ses amis le voyaient inoccupé, ils lui adressaient des questions de philosophie ou de morale, et le maître y répondait. Ces questions et ces réponses avaient été conservées. Augustin les fit réunir plus tard, lorsqu’il était évêque ;

  1. Cité de Dieu, liv. xiii, ch. 8.
  2. De cura gerendi pro mortuis. N° 13.
  3. De quantitate animæ.
  4. Lettre 162.