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et le Fils ; et le Saint-Esprit étaient ensemble portés sur les eaux. Pourquoi donc l’Ecriture ne parle-t-elle que de votre Esprit ? pourquoi parle-t-elle de lui seul, comme s’il y avait lieu là où le lieu n’est pas, en celui de qui seul il a été dit qu’il est votre don ? Le don où nous jouissons du repos, où nous jouissons de vous-même ; repos des âmes, lieu des esprits !

C’est là où nous élève l’amour ; et votre divin Esprit retire notre humilité des portes de la mort ( Ps. IX, 5) ; et « notre paix est dans notre bonne volonté (Luc, II, 14) ». Le corps tend à son lieu par son poids ; et ce poids ne tend pas seulement en bas, mais au lieu qui lui est propre. La pierre tombe ; le feu s’élance ; l’un et l’autre gravite suivant son poids et suivant son centre. L’huile versée dans l’eau monte au-dessus de l’eau ; l’eau versée dans l’huile descend au-dessous de l’huile ; l’un et l’autre suit son poids et cherche son centre. Hors de l’ordre, trouble ; dans l’ordre, repos. Mon poids, c’est mon amour ; où que je tende, c’est lui qui m’emporte. C’est votre don, c’est votre Esprit qui allume, qui volatilise notre cœur. Il nous embrase et nous enlève. Nous montons à l’échelle de l’âme (Ps. LXXXIII, 6), en chantant le cantique des degrés. C’est le feu de l’amour, c’est votre feu divin qui nous consume et nous ravit au centre de la paix, au sein de Jérusalem ; et « je trouve ma joie dans cette heureuse promesse : Nous irons à la maison du Seigneur (Ps. CXXXI, 1). » Et c’est la bonne volonté qui nous y fait une place ; et nous n’avons plus rien à vouloir, que cette demeure éternelle.

Chapitre X, Bonheur des pures intelligences.

11. Ô béatitude de la créature qui n’a jamais connu d’autre état que cette félicité, où elle ne se fût jamais élevée d’elle-même, si, à l’instant immédiat de sa création, votre Don, porté sur toutes choses muables, ne l’eût exaltée à l’appel de votre voix. « Que la lumière soit, et la « lumière fut ( Gen. I, 3). » En nous, il y a distinction de temps : temps où nous sommes ténèbres ; temps où nous devenons lumière (Ephés. V, 8). Mais, en parlant de ces pures intelligences, l’Ecriture ne fait qu’indiquer ce qu’elles eussent été sans l’illumination divine ; et elle les suppose à l’état de fluctuation ténébreuse, pour nous signaler la cause de leur gloire surnaturelle : c’est-à-dire leur union lumineuse avec la lumière sans ombre et sans défaillance. Entende qui peut ; qui ne peut, vous invoque ! — Car, enfin, que me veut-on ? Suis-je la lumière qui éclaire tout homme venant au monde ( Jean 1, 9) ?

Chapitre XI, Image de la trinité dans l’Homme.

12. Où est l’homme qui comprend la toute-puissante Trinité ? où est l’homme qui n’en parle ? et peut-on dire qu’il en parle ? Bien rare est l’intelligence qui en parle avec la science de sa parole. Et l’on conteste, et l’on dispute ; et c’est un mystère qui demeure voilé aux âmes où la paix n’est pas. Je voudrais que les hommes observassent en eux-mêmes un triple phénomène ; simplitude infiniment différente de la Trinité sainte, mais que j’offre à leur méditation, pour leur faire sentir et reconnaître l’infini de la distance. Ce triple phénomène, le voici : être, connaître, vouloir : car je suis, je connais, je veux : je suis celui qui connaît et qui veut. Je connaît que je suis et que je veux, et je veux être et connaître.

Comprenne qui pourra combien notre âme est inséparable de ces trois phénomènes, qui tous trois ne font qu’une même vie, qu’une même raison, qu’une même essence, inséparablement distinctes. Homme, te voilà en présence de toi-même ; regarde en toi ; vois, et réponds moi !

Et si tu trouves quelque lueur dans ces mystères de ton être, ne crois pas en avoir pénétré plus avant dans les mystères de l’Etre immuable au-dessus de tout, immuable dans son être, immuable dans sa connaissance, immuable dans sa volonté : car, est-ce à cause de cette triplicité, que Dieu est Trinité ; ou cette triplicité réside-t-elle en chaque personne divine, chacune étant unité-trinaire ; ou bien, dans le cercle incompréhensible, infini, d’une simplicité multiple, est-il unité féconde, principe, connaissance et fin de soi-même, qui se suffit immuablement ? Quel esprit aurait la force de dégager cette terrible inconnue ? Quelle parole, quel sentiment seraient exempts de témérité ? (504)