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est-ce autre chose que des espaces de temps ? Quel espace est donc pour nous la mesure du temps qui passe ? Est-ce l’avenir d’où il vient ? Mais mesure-t-on ce qui n’est pas encore ? Est-ce le présent par où il passe ? Mais l’inétendu se mesure-t-il ? Est-ce le passé où il entre ? Mais comment mesurer ce qui n’est plus ?

Chapitre XXII, Il demande à Dieu la connaissance de ce mystère.

28. Mon esprit brûle de connaître cette énigme profonde. Je vous en conjure, Seigneur mon Dieu, mon bon père, je vous en conjure au nom du Christ, ne fermez pas à mon désir l’accès d’une question si ordinaire et si mystérieuse. Laissez-moi pénétrer dans ses replis ; que la lumière de votre miséricorde les éclaire, Seigneur ! A qui m’adresser ? à quel autre confesser plus utilement mon ignorance qu’à vous, ô Dieu, qui ne désapprouvez pas le zèle ardent où m’emporte l’étude de vos Ecritures ? Donnez— moi ce que j’aime. Car j’aime, et vous m’avez donné d’aimer. Donnez-moi mon amour, ô Père qui savez ne donner que de vrais biens à vos fils ( Matth. VII, 2) Donnez-moi de connaître cette, vérité que je poursuis. C’est une porte fermée à tous mes labeurs, si vous ne l’ouvrez vous-même.

Par le Christ, au nom du Saint des saints, je vous en conjure, que nul ne me trouble ici. Je crois, « et ma foi inspire ma parole (Ps. CXV, 1). » J’espère et je ne vis qu’à l’espérance de contempler les délices du Seigneur. Et vous avez fait mes jours périssables, et ils passent (Ps. XXXVIII, 6). Et comment ? je l’ignore. Et nous avons sans cesse à la bouche ces mots : époque et temps. Combien de temps a-t-il mis à ce discours, à cette œuvre ? Qu’il y a longtemps que je n’ai vu cela ! Et, cette syllabe longue est le double de temps de cette brève. Nous parlons et on nous parle tous les jours ainsi ; nous comprenons et sommes compris. Rien de plus clair et de plus usité ; rien en même temps de plus caché ; rien, jusqu’ici, de plus impénétrable.

Chapitre XXIII, Nature du temps.

29. J’ai entendu dire à un savant que le temps, c’est le mouvement du soleil, de la lune et des astres ; je ne suis pas de cet avis ; car, pourquoi le mouvement de tout autre corps ne serait-il pas le temps ? Quoi ! le cours des astres demeurant suspendu, si la roue d’un potier continuait à tourner, n’y aurait-il plus de temps pour mesurer ses tours ? Ne nous serait-il plus possible d’exprimer l’égalité de leurs intervalles ou la différence de leurs mouvements, si les vitesses sont différentes ? Et en énonçant ces rapports, ne serait-ce pas dans le temps que nous parlerions ? N’y aurait-il dans nos paroles ni longues, ni brèves ? Et comment les reconnaître, sinon à l’inégale durée de leur son ? O Dieu ! accordez à l’homme de trouver en un point la lumière— qui lui découvre toute grandeur et toute petitesse ! Il est, je le sais, des astres et dès flambeaux célestes qui mesurent les saisons, les temps, les années et les jours (Gen. I, 14). C’est une vérité, et je ne prétendrais jamais que le mouvement de cette roue du potier fût notre jour, sans lui refuser toutefois d’être un temps, n’en déplaise à ce philosophe.

30. Ce que je veux savoir, moi, c’est la puissance et la nature du temps, qui nous sert de mesure aux mouvements des corps, et nous permet de dire, par exemple : Tel mouvement dure une fois plus que tel autre ; car enfin le jour n’est pas seulement la présence rapide du soleil sur l’horizon, mais encore le cercle qu’il décrit de l’orient à l’orient, et qui règle le nombre des jours écoulés, les nuits mêmes comprises, dont le compte n’est jamais séparé. Ainsi le jour n’étant accompli que par le mouvement du soleil et sa révolution d’orient en orient, est-ce le mouvement, est-ce la durée du mouvement, est-ce l’un et l’autre ensemble qui forment le jour ? Est-ce le mouvement ? Alors, une heure serait le jour, si cet espace de temps suffisait au soleil pour achever sa carrière :

Est-ce le jour entier ? Alors il n’y aurait point de jour si, d’un lever à l’autre, il ne s’écoulait pas plus d’une heure, et s’il fallait vingt-quatre révolutions solaires pour former le jour. Est-ce à la fois le mouvement et le temps ? Alors le soleil accomplirait son tour en une heure, et, supposé qu’il s’arrêtât, le même intervalle que sa course mesure d’un matin à l’autre se serait écoulé, qu’il n’y aurait pas eu de véritable jour.

Ainsi, je ne me demande plus, qu’est-ce qu’on nomme le jour, mais qu’est-ce que le temps ? ce temps, mesure du mouvement solaire, que nous dirions moindre de moitié, si (482) douze heures avaient suffi