Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/482

Cette page n’a pas encore été corrigée

tombent dans ses fers (Isaïe, XIV, 13-15) ténébreux et glacés. Mais nous, Seigneur, nous sommes votre petit troupeau (Luc, XII, 32) ; nous voilà ; prenez votre houlette. Etendez vos ailes sur nous ; que leur ombre soit notre asile. Soyez notre gloire ; que l’on ne nous aime que pour vous ; que votre Verbe seul se fasse craindre en nous. Celui qui veut être loué des hommes, malgré votre blâme, ne trouvera pas d’homme pour le défendre à votre tribunal, ni pour le soustraire à votre arrêt. Et il ne s’agit point d’un pécheur flatté dans les mauvais instincts de son âme, ni d’un impie dont on bénit l’iniquité (Ps. X, 13), mais d’un homme loué pour quelque grâce reçue de vous ; s’il jouit plutôt de la louange que de cette faveur divine qui, en est l’objet, votre blâme accompagne ces louanges ; et celui qui les donne vaut mieux que celui qui les reçoit ; l’un aime dans l’homme le don de Dieu, l’autre préfère au don de Dieu celui de l’homme.

Chapitre XXXVII, Disposition de son âme touchant le blâme et la louange.

60. Voilà les tentations dont nous sommes assaillis, Seigneur, chaque jour, sans relâche. Chaque jour la langue humaine est la fournaise de notre épreuve. C’est, encore ici que vous nous commandez la continence. Donnez-moi ce que vous m’ordonnez ; ordonnez-moi ce qu’il vous plaît. Vous savez ici les gémissements que mon cœur exhale, et les torrents de larmes que roulent mes yeux. Inhabile à discerner jusqu’à quel point je suis allégé de ce fardeau de corruption, je tremble pour mes maux secrets ( Ps. XVIII, 3), connus de votre regard, et que le mien ignore.

Les autres tentations me laissent toujours quelque moyen de m’examiner, celle-ci presque jamais ; car pour les voluptés charnelles, pour les convoitises de la vaine science, je vois l’empire que j ‘ai gagné sur mon esprit, par la privation volontaire ou l’absence de ces impressions. Et je m’interroge alors, en mesurant le degré de vide que j’éprouve. Quant à la richesse, que l’on ne poursuit que pour satisfaire l’une de ces trois concupiscences, ou deux ou toutes ensemble, l’esprit se trouve-t-il dans l’impossibilité de deviner s’il la méprise en la possédant, qu’il la congédie pour s’éprouver. Est-ce à dire que, pour nous assurer de notre force à supporter le jeûne de la louange, il faille vivre mal, et en venir à un tel cynisme, que personne ne puisse nous connaître sans horreur ? Qui pourrait penser ou dire pareille extravagance ? Mais si la louange est la compagne ordinaire et obligée d’une vie exemplaire et de bonnes œuvres, il ne faut pas plus renoncer à la vertu qu’à son cortège. Et cependant, sans privation et sans absence, puis-je avoir le secret de ma résignation ?

61. Que vais-je donc ici vous confesser, Seigneur ? Eh bien ! je vous dirai que je me plais à la louange, mais encore plus à la vérité qu’à la louange. Car s’il m’était donné de choisir la louange des hommes pour salaire d’erreur ou de démence, ou leur blâme pour prix de mon inébranlable attachement à la vérité, mon choix ne serait pas douteux.

Je voudrais bien, toutefois, que le suffrage des lèvres d’autrui n’ajoutât rien à la joie que je ressens de ce peu de bien qui est en moi. Mais, je l’avoue, le bon témoignage l’augmente et le blâme la diminue. Et quand cette affliction, d’esprit me trouble, il me vient une excuse ; ce qu’el1e vaut, vous le savez, mon Dieu ; pour moi, elle me laisse dans le doute. Or, vous ne nous avez pas seulement ordonne la continence qui enseigne ce dont notre amour doit s’abstenir, mais encore la justice qui lui montre où il se doit diriger ; et vous nous commandez d’unir à votre amour celui du prochain, Il me semble donc que c’est l’avancement de l’un de mes frères que j’aime ou que j’espère, quand je me plais aux louanges intelligentes qu’il donne, et que c’est encore pour lui que je m’afflige quand je l’entends prononcer un blâme ignorant ou injuste. Quelquefois, même je m’attriste des témoignages flatteurs que l’on me rend, soit que l’on approuve en moi ce qui me déplaît de moi-même, soit que l’on estime au delà de leur valeur des avantages secondaires. Eh ! que sais-je ? Ce sentiment ne vient-il pas de ma répugnance aux éloges en désaccord avec l’opinion que j’ai de moi ? Non qu’alors je sois touché de l’intérêt du prochain ; mais c’est que le bien que j’aime en moi m’est encore plus agréable quand je ne suis pas seul à l’aimer. Et, en effet, est-ce donc me louer que de contredire mes sentiments sur moi, en louant ce qui me déplaît, en exaltant des (470) qualités indifférentes ?