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sans doute que cette seule épreuve achevât de graver dans ma mémoire quelle est la force des liens de la coutume sur l’âme même qui ne se nourrit plus de la parole de mensonge.

J’imaginai d’aller au bain, ayant appris qu’ainsi les Grecs l’avaient nommé, comme bannissant les inquiétudes de l’esprit. J’y vais, et je le confesse à votre miséricorde, ô Père des orphelins, j’en sors tel que j’y suis entré. Il n’avait point fait transpirer l’amertume de mon cœur.

Et puis je m’endormis, et à mon réveil, je sentis ma douleur bien diminuée ; et, seul au lit, je me rappelai ces vers de votre Ambroise, que je sentais si véritables « O Dieu créateur, modérateur des cieux, qui jetez sur le jour le splendide manteau de la lumière, répandez sur la nuit les grâces du sommeil ; afin que le repos rende au labeur ordinaire les membres épuisés, soulage les fatigues de l’esprit, et brise le joug inquiet de l’affliction ! »

33. Et peu à peu je rentrais dans mes premières pensées sur votre servante, et me rappelant son pieux amour pour vous, et pour moi cette tendresse prévenante et sainte qui tout à coup me manquait, je goûtai la douceur de pleurer en votre présence sur elle et pour elle, sur moi et pour moi. Et je donnai congé à mes pleurs, jusqu’alors retenus, de couler à loisir ; et, soulevé sur ce lit de larmes, mon cœur trouva du repos, entendu de vous seul, et non pas d’un homme juge superbe de ma douleur.

Et maintenant, Seigneur, je vous le confesse en ces lignes. Lise et interprète à son gré qui voudra. Et celui-là, s’il m’accuse comme d’un péché, d’avoir donné à peine une heure de larmes à ma mère, morte pour un temps à mes yeux, ma mère qui m’avait pleuré tant d’années pour me faire vivre aux vôtres, qu’il se garde de rire, mais que plutôt, s’il est de grande charité, lui-même vous offre ses pleurs pour mes péchés, à vous, Père de tous les frères de votre Christ.

Chapitre XIII, Il prie pour sa mère.

34. Aujourd’hui, le cœur guéri de cette blessure que l’affection charnelle rendait peut être trop vive, je répands devant vous, mon Dieu, pour cette femme, votre servante, de bien autres pleurs ; pleurs de l’esprit frappé des périls de toute âme qui meurt en Adam. Il est vrai que, vivifié en Jésus-Christ ( I Cor. XV, 22), elle a vécu dans les liens de la chair de manière à glorifier votre nom par sa foi et ses mœurs ; mais toutefois je n’oserais dire que, depuis que vous l’eûtes régénérée par le baptême, il ne soit sorti de sa bouche aucune parole contraire à vos préceptes. Et n’a-t-il pas été dit par la Vérité, votre Fils : « Celui, qui appelle son frère insensé est passible du feu ( Matth. V, 22) ? » Et malheur à la vie même exemplaire, si vous la scrutez dans l’absence de la miséricorde. Mais comme vous ne recherchez pas nos fautes à la rigueur, nous avons le confiant espoir de trouver quelque place dans votre indulgence. Et d’autre part, quel homme, en comptant ses mérites véritables, fait autre choses que de compter vos dons ? Oh ! si les hommes se connaissaient, comme celui qui se glorifie se glorifierait dans le Seigneur ( II Cor. X, 17) !

35.— Ainsi donc, ô ma gloire ! ô ma vie ! O Dieu de mon cœur ! mettant à part ses bonnes œuvres, dont je vous rends grâces avec joie, je vous prie à cette heure pour les péchés de ma mère ; exaucez-moi, au nom du Médecin suspendu au bois infâme, qui aujourd’hui, assis à votre droite, sans cesse intercède pour nous ( Rom. VIII, 34). Je sais qu’elle a fait miséricorde, et de toute son âme remis la dette aux débiteurs. Remettez-lui donc la sienne (Matth. VI, 12) ; et s’il en est qu’elle ait contractée, tant d’années durant qu’elle a vécu après avoir reçu l’eau salutaire, remettez-lui, Seigneur, remettez-lui, je vous en conjure ; n’entrez pas avec elle en jugement ( Ps. CXLII, 2). Que votre miséricorde s’élève au-dessus de votre justice ( Jacq. II, 13) ! Vos paroles sont véritables, et vous avez promis aux miséricordieux miséricorde (Matth. 5, 7) Et vous leur avez donné de l’être, vous qui avez pitié de qui il vous plaît d’avoir pitié, et faites grâce à qui il vous plaît de faire grâce ( Exod. XXXIII, 19).

36. Et n’auriez-vous pas déjà fait ce que je vous demande ? je le crois ; mais encore, agréez, Seigneur, cette offrande de mon désir ( Ps. CXVIII, 108). Car aux approches du jour de sa dissolution elle ne songea pas à faire somptueusement ensevelir, embaumer son corps ; elle ne souhaita point un monument choisi ; elle se soucia peu de reposer au pays de ses pères ; non, ce n’est pas là ce qu’elle nous recommanda ; elle exprima