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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

s’est servi des sens dans cette recherche comme d’un navire, et les a quittés aussitôt qu’il est arrivé au lieu qu’il voulait atteindre : placé comme au milieu de la mer, il a roulé dans son esprit les idées dont la recherche l’occupait. Augustin juge impossible de concevoir par les sens les vérités de la géométrie. Il ne saurait dire comment il voudrait connaître Dieu, parce qu’il n’a jamais rien connu dans ce genre. Il établit une grande différence entre les vérités infaillibles des mathématiques et la grandeur intelligible de Dieu. L’intelligence est l’œil de l’âme, et les vérités certaines des sciences sont comme des objets qui, pour être vus, ont besoin d’être éclairés par le soleil. L’œil de l’âme, c’est l’esprit guéri de l’amour des choses terrestres. Il faut la foi, l’espérance et la charité pour guérir une âme et la rendre capable de voir, c’est-à-dire de concevoir Dieu ; on sent ici l’inspiration chrétienne qui complète les idées de Platon.

L’âme, une fois guérie, doit regarder. Le regard de l’âme, c’est la raison. Le regard juste et vrai est appelé une vertu. Etre purifié, regarder et voir, voilà donc les trois choses qui mènent l’âme à la connaissance de Dieu.

Augustin trouve dans le soleil qui éclaire le monde une parfaite image du soleil éternel des âmes, de ce Dieu caché qu’il veut comprendre le soleil existe, il est visible, toute chose est éclairée de sa lumière ; de même Dieu existe, il est intelligible, et c’est par sa lumière que nous pouvons tout apercevoir dans le monde intellectuel et moral.

Les chapitres XI, XII et XIII de ce premier livre nous peignent la situation d’Augustin, qui aimait la sagesse plus que la vie et qui n’aimait pour elle seule que la sagesse ; il ne désirait ou ne craignait de perdre les biens humains que dans leurs rapports avec les biens invisibles. Il y a dans cette doctrine toute une morale bien haute et bien belle. Augustin ne veut pas que la glu de ce monde nous arrête, tant que nous existons dans ce corps mortel. La lumière éternelle ne se montre qu’aux prisonniers terrestres qui, une fois leur cachot brisé, seraient capables de s’envoler dans les régions supérieures.

Dans le chapitre XV, l’argument en faveur de l’immortalité de l’âme, tiré de l’immortalité de la vérité, n’est pas complet ; la vérité n’a pas attendu l’homme pour commencer et n’a pas besoin de l’immortalité de l’homme pour être elle-même immortelle ; l’intelligence de Dieu lui suffit. La puissance de participer à la vérité souveraine est une belle présomption, mais non pas une certitude pour notre immortalité.

Dans le chapitre Ier du deuxième livre, on trouve ces admirables paroles tant de fois répétées depuis quatorze siècles : « Mon Dieu, faites que je vous connaisse et que je me connaisse ! « Noverim te, Noverim me ! » Le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, de Bossuet, est une immortelle traduction de ces quatre mots d’Augustin.

Nous devons reproduire ici le dialogue. « La Raison : Mais toi qui veux te connaître, sais-tu si tu existes ? — Augustin : Je le sais. — La Raison : D’où le sais-tu ? — Augustin : Je l’ignore. — La Raison : As-tu conscience de toi comme d’un être simple ou composé ? — Augustin : Je l’ignore. — La Raison : Sais-tu si tu es mis en mouvement ? — Augustin : Je l’ignore. — La Raison : Sais-tu si tu penses ? — Augustin : Je le sais. — La Raison : Il est donc vrai que tu penses ? — Augustin : Cela est vrai. » Voilà le cartésianisme tout entier ; voilà l’évidence intime considérée comme la base de la certitude. Sans vouloir dépouiller Descartes de sa gloire, nous aimons à constater, pour l’honneur de la vérité et la grandeur du sujet qui nous occupe, que saint Augustin est le père de l’école philosophique du dix-septième siècle, école tout à fait française et catholique, détrônée par Locke et Condillac, éloquemment attaquée, il y a vingt ans, au nom même des intérêts de la foi chrétienne, mais destinée, nous l’espérons, à ressaisir l’empire au milieu de nous. Elle compte pour disciples Bossuet et Fénelon, les plus grands hommes de l’Oratoire et de Port-Royal, si. on excepte Pascal, et cette école est bien fortement empreinte du génie chrétien[1]. Nous aurons plus tard de nouvelles occasions de montrer les cartésiens comme les descendants de saint Augustin, et nous rencontrerons des traces fréquentes de cette filiation philosophique.

Poursuivons l’analyse du deuxième livre des Soliloques.

— Pleurerais-tu, dit la Raison à Augustin, si dans une vie immortelle tu ne pouvais rien savoir de plus que tu ne sais maintenant ? — Je pleurerais alors, répond Augustin, pour ob-

  1. Les cartésiens, dans les livres qu’ils mettaient entre les mains de leurs élèves, reproduisaient la philosophie de saint Augustin, sous le titre de : Philosophie Chrétienne, Philosophia Christiana.