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OUVRAGES COMPOSÉS AVANT L’ÉPISCOPAT.

la foi du Christ, du Christ, l’unique médiateur entre Dieu et les hommes, ils périssent avec toute leur sagesse.

2. Lorsque j’ai dit, dans ce livre : « Les corps sont d’autant meilleurs qu’ils renferment plus de nombres pareils ; mais l’âme, en manquant de ceux qu’elle reçoit par le «corps, devient meilleure ; puisqu’elle s’éloigne des sens charnels et qu’elle se réforme selon les nombres divins de la sagesse[1] ; »ces paroles ne doivent pas être prises comme s’il ne devait pas y avoir de nombres corporels dans les corps incorruptibles et spirituels, puisqu’ils doivent être beaucoup plus beaux et plus harmonieux : il ne faut pas non plus y voir la pensée que l’âme ne doit pas y être sensible quand elle sera excellente, de même qu’elle devient meilleure ici-bas quand elle en est privée. Ici, en effet, l’âme a besoin de s’éloigner des sens charnels pour comprendre les choses intellectuelles, parce qu’elle est faible et impropre à appliquer son attention aux uns et aux autres ensemble. Dans les objets corporels, elle doit fuir la séduction maintenant et aussi longtemps qu’elle peut être entraînée à de honteux plaisirs ; mais alors elle sera si ferme et si parfaite que les nombres corporels ne pourront pas la détourner de la contemplation de la sagesse ; elle y sera sensible sans en être séduite, et ne devra pas en être privée pour devenir meilleure ; au contraire, elle sera si bonne et si droite que ces nombres corporels ne pourront la décevoir ni l’arrêter.

3. De même ces paroles : « La santé sera toute ferme et tout assurée, alors que notre « corps aura été rendu en son temps et selon u son ordre à sa stabilité première[2], » ne sont pas employées pour signifier qu’après la résurrection les corps ne seront pas meilleurs que ceux du premier couple dans le paradis, puisqu’ils n’auront pas à se nourrir des aliments corporels dont ceux-là se nourrissaient ; mais la stabilité première doit être comprise en tant que ces corps ne souffriront plus aucune maladie, de même que ceux-là n’en pouvaient souffrir avant le péché.

4. Ailleurs : « L’amour de ce monde est bien plus laborieux, ai-je dit. En effet, ce que l’âme cherche en lui, à savoir la constance et l’éternité, elle ne l’y trouve pas ; car cette infime beauté du monde n’existe que par le mouvement des choses, et ce qui imite en elle la constance lui vient de Dieu par l’âme ; par l’âme qui ne changeant qu’avec le temps prime le monde qui change avec le temps et les lieux[3]. » Si ces paroles peuvent être prises en ce sens qu’elles ne montrent l’infime beauté que dans le corps des hommes et des animaux qui vivent avec le sentiment de leurs corps, elles sont manifestement fondées en raison. En effet, ce qui dans cette beauté imite la constance, c’est la cohésion qui conserve ces corps dans leur identité tout le temps qu’ils existent : et cela leur vient de Dieu par l’âme. Car l’âme est le lien de cette cohésion qui empêche la dissolution et la dispersion que nous voyons arriver dans les corps des animaux quand l’âme les quitte. Mais si on entend cette infime beauté de tous les corps, une telle pensée contraint de croire que le monde aussi est animé. Dans ce cas, en effet, ce qui en lui imite la constance lui viendrait de Dieu par l’âme.

Or, cette pensée d’un monde animé qu’a eue Platon et qu’ont soutenue plusieurs autres philosophes, je n’ai pu ni la justifier par la raison, ni la démontrer par l’autorité des divines Écritures. C’est pourquoi si on a pu interpréter en ce sens quelqu’une de mes paroles, je l’ai notée déjà comme téméraire dans le livre de l’Immortalité de l’Âme[4] ; non pas que j’affirme qu’il soit faux que le monde soit animé, mais parce que je ne comprends pas que ce soit vrai. Ce que je tiens comme inébranlablement assuré, c’est que ce monde n’est pas un Dieu pour nous, qu’il ait une âme ou n’en ait point. S’il en a une, celui qui l’a faite est notre Dieu ; s’il n’en a pas, ce monde ne peut être le Dieu de rien, encore moins peut-il être le nôtre. Cependant lors même que le monde n’aurait pas d’âme, on croit avec beaucoup de raison qu’il y a en lui une vertu vitale et spirituelle ; cette vertu dans les saints Anges sert à orner et à gouverner le monde pour la gloire de Dieu et l’avantage de ceux mêmes qui ne la comprennent pas. J’appelle maintenant du nom de saints Anges toute sainte créature spirituelle consacrée au service secret et caché de Dieu ; mais les divines Écritures n’ont pas coutume de donner le nom d’âmes aux esprits angéliques. Ainsi donc, dans ce que j’ai écrit vers la fin de ce livre : « Les nombres raisonnables et intellectuels des âmes bienheureuses et saintes reçoivent, sans aucune nature intermédiaire,

  1. Liv. VI, C. IV, n. 7.
  2. Ibid, C. V, n. 13.
  3. Ibid. C. XIV, n. 43.
  4. Rétr. Liv. I, C. V, n. 3.