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OUVRAGES COMPOSÉS AVANT L’ÉPISCOPAT.

résistances douloureuses des liens charnels, ne pouvoir s’affranchir des œuvres de la passion, ce n’est pas la nature originelle de l’homme, c’est la peine de sa condamnation. Mais lorsque nous parlons de la libre volonté de faire le bien, nous entendons parler de celle dans laquelle l’homme a été créé[1]. »

6. Ainsi, bien avant que l’hérésie pélagienne apparût, nous avons discuté comme si c’eût été contre elle. Car, en disant que tous les biens, c’est-à-dire les grands, les moyens et les petits, viennent de Dieu, on rencontre dans les moyens le libre arbitre de la volonté, parce que nous pouvons en faire un mauvais usage ; il est tel cependant que sans lui nous ne pouvons bien vivre. Ce bon usage est une vertu, et elle se compte parmi les grands biens dont nul ne peut faire un mauvais usage. Et comme tous les biens, ainsi que je l’ai dit, les grands, les moyens et les petits, viennent de Dieu, il s’ensuit que le bon usage de la libre volonté, qui est une vertu et se compte parmi les grands biens, vient aussi de Dieu. J’ai remarqué ensuite de quelle misère justement infligée aux pécheurs délivre la grâce de Dieu, puisque l’homme de lui-même et par son libre arbitre a bien pu tomber, mais n’a pu se relever. C’est à cette misère que se rapportent l’ignorance et l’impuissance dont souffre tout homme dès le moment de sa naissance ; et personne n’est affranchi de ce mal que par là grâce de Dieu[2]. Or, les Pélagiens ne veulent pas que cette misère provienne d’une juste condamnation, car ils nient le péché originel. Quand même l’ignorance et l’impuissance auraient été des attributs naturels et primitifs de l’homme, Dieu n’en saurait encourir de reproche : il l’en faudrait louer au contraire, ainsi que nous l’avons examiné dans ce même livre troisième[3]. Cette controverse doit être à l’adresse des Manichéens, qui n’admettent pas les saintes Ecriture de l’Ancien Testament, où est relaté le péché originel, et qui prétendent avec une impudence détestable que tous les passages des écrits apostoliques qui en sont tirés, ont été interpolés par des faussaires de l’Écriture sainte, comme si les Apôtres n’en avaient jamais parlé. Mais les Pélagiens faisant profession d’accepter l’Ancien et le Nouveau Testament, c’est contre eux qu’il faut défendre ce que nous enseignent l’un et l’autre. L’ouvrage commence ainsi : « Dites-moi, je vous prie, si Dieu n’est pas l’auteur du mal. »


CHAPITRE X.

de la genèse contre les manichéens. — deux livres.


1. Établi en Afrique, j’ai écrit deux livres sur la Genèse contre les Manichéens. En montrant, par les dissertations de mes précédents ouvrages, que Dieu est le souverain bien, l’immuable Créateur de toutes les natures muables, et qu’il n’y a pas de nature ou de substance mauvaise en tant que nature et que substance, mon intention était en éveil contre les Manichéens ; cependant j’ai voulu publier ostensiblement contre eux ces deux livres pour la défense de l’ancienne loi, parce qu’ils l’attaquent dans leur folie avec une ardeur véhémente. Le premier traite de cette parole : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre[4], » et suit l’œuvre des sept jours jusqu’à celui où Dieu se repose. Le second explique depuis ces mots : « Ce livre est celui de la création du ciel et de la terre[5], » jusqu’à l’expulsion d’Adam et d’Ève du paradis et la garde de l’arbre de vie confiée au chérubin. À la fin du livre, j’ai opposé la croyance de la vérité catholique à l’erreur des Manichéens, résumant avec rapidité et clarté ce qu’ils disent et ce que nous disons.

2. Quand j’ai dit : « Il ne repaît pas les regards des êtres sans raison, mais les cœurs purs de ceux qui croient en Dieu et qui s’élèvent de l’amour des choses visibles et temporelles, à l’accomplissement de ses préceptes ; ce que les hommes peuvent tous, pourvu qu’ils le veuillent[6] ; » il ne faut pas que les Pélagiens, ces nouveaux hérétiques, s’imaginent que j’ai parlé dans leur sens. Il est absolument vrai, en effet, que tous les hommes ont ce pouvoir, pourvu qu’ils le veuillent ; mais la volonté est préparée par le Seigneur, et elle est tellement aidée par le don de la charité qu’elle peut y parvenir. Si je n’ai pas donné alors cette explication, c’est qu’elle n’était point nécessaire à la question présente. J’ai écrit que cette bénédiction de Dieu : « Croissez et multipliez[7], » s’est appliquée, après le péché, à la fécondité charnelle[8] ; mais je ne l’approuve nullement, si on ne peut l’expliquer que par la

  1. Liv. iii, C. XVIII, n. 52.
  2. Liv. II, C. XX ; liv. III, C. XVIII.
  3. Liv. III, C. XX et XXX.
  4. Gen. I, 1.
  5. Gen. ii, 4.
  6. Liv. I, C. III, n.6.
  7. Gen. I, 28.
  8. Liv. I, C. XXX, n. 30.