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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

du second naissent les opinions qui troublent l’esprit des insensés. Ce qu’il y a de bon dans les actions humaines n’est qu’une imitation des vertus du monde supérieur. Voilà les enseignements que les successeurs de Platon s’étaient fait une loi de croire et même de cacher, comme des mystères importants. Arcésilas, voyant l’école du maître livrée aux doctrines de Zénon, cacha le sentiment véritable des Académiciens, et l’ensevelit comme un trésor que la postérité trouverait un jour. Il aima mieux soustraire la science à des gens dont il souffrait avec peine les mauvaises doctrines, que d’instruire des hommes indociles. De Là, les extravagances attribuées à la nouvelle académie, dont Arcésilas fut le chef ; la troisième académie, qui eut pour chef Carnéade, appelait du nom de vraisemblable toute œuvre d’ici-bas. C’était une suite de la doctrine de Platon. On considérait les choses humaines comme une imitation des choses véritables ; mais Carnéade gardait tout ce qui avait trait au monde invisible ou ne le révélait qu’à de rares amis assez élevés pour le comprendre. Cicéron, et plus tard Plotin, firent revivre Platon dans toute sa vérité. La raison humaine ne suffisait pas pour nous délivrer de toutes nos ténèbres. Dieu abaissa l’autorité de sa divine intelligence dans un corps humain, et, par ses préceptes et ses exemples, excita les âmes et leur donna le pouvoir de regarder la céleste patrie[1].

En terminant son discours, Augustin disait : « De quelque manière que se possède la sagesse, je vois que je ne la connais pas encore. Cependant, n’étant encore qu’à ma trente-troisième année, je ne dois pas désespérer de l’acquérir un jour ; aussi suis-je résolu de m’appliquer à la chercher par un mépris général de tout ce que les hommes regardent ici-bas comme des biens. J’avoue que les raisons des Académiciens m’effrayaient beaucoup dans cette entreprise ; mais je me suis, ce me semble, assez armé contre elles par cette discussion. Il n’est douteux pour personne que deux motifs nous déterminent a dans nos connaissances : l’autorité et la raison. Pour moi, je suis persuadé qu’on ne doit, en aucune manière, s’écarter de l’autorité de Jésus-Christ, car je n’en trouve pas de plus puissante. Quant aux choses qu’on peut examiner par la subtilité de la raison (car, du caractère dont je suis, je désire avec impatience ne pas croire seulement la vérité, mais l’apercevoir par l’intelligence[2]), j’espère trouver chez les platoniciens beaucoup d’idées qui ne seront point opposées à nos saints mystères[3]. »

Il était nuit ; la fin du discours d’Augustin avait même été recueillie à la lueur d’un flambeau. Les jeunes amis attendaient ce qu’Alype allait répondre ; mais Alype déclara tout son bonheur d’avoir été vaincu ; il vanta, avec toute l’effusion de l’enthousiasme et de l’amitié, le charme du langage, la justesse des pensées, l’étendue de la science. « Je ne saurais, disait-il, admirer assez comment Augustin a traité avec tant de grâce des questions aussi épineuses, avec quelle force il a triomphé du désespoir, avec quelle modération il a exposé ses convictions, avec quelle clarté il a résolu d’aussi obscurs problèmes. Ô mes amis ! vous attendez ma réponse, mais ne soyez prêts qu’à écouter le maître. Nous avons un chef pour nous conduire dans les secrets de la vérité, sous l’inspiration de Dieu lui-même. »

Nous dirons, nous aussi, qui avons entendu le maître comme si nous avions été assis dans la prairie, à côté d’Alype ou de Licentius, que ce discours d’Augustin, à peine indiqué par notre courte analyse, nous a ravi. C’est l’œuvre du plus pur platonisme complété par les rayons chrétiens. On y sent une pénétrante chaleur d’âme, une éloquence douce et forte, et déjà cette dialectique puissante qui triomphera plus tard des ennemis de la foi. Augustin descend tour à tour à la portée des jeunes gens qui l’écoutent, plonge dans les profondeurs philosophiques et s’élève aux plus hautes cimes de la pensée. Le génie d’Augustin semble se jouer avec ces sujets si difficiles. Le futur docteur de l’Église se révèle dans cet entretien au pied de l’arbre du pré de Cassiacum.

  1. Cujus non solum præceptis, sed etiam factis excitatæ animce redire in semetipsas, et respicere patriam, etiam sine disputationum concertatione potuissent. Contra Acad., lib. m, cap. xix.
  2. Ita enimjam sum affectus, ut quid sit verum, non credendo solum, sed etiam intelligendo, apprehendere impatienter desiderem.
  3. Livre iii, chap. 20, Contre les Acad.