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chapitre cinquante-cinquième.

que l’évêque d’Hippone « est le seul des anciens que la divine Providence a déterminé, par l’occasion des disputes qui se sont offertes de son temps, à nous donner tout un corps de théologie, qui devait être le fruit de sa lecture profonde et continuelle des livres sacrés[1]. »

Si le docteur africain est le premier des théologiens, il demeure aussi le premier des philosophes chrétiens. On ne nous citera pas une donnée féconde, une vue haute, une notion philosophique de quelque portée, qui n’ait son expression ou son germe dans les écrits de saint Augustin. Telle idée, tel système qui a suffi pour faire la renommée d’un homme, appartient tout simplement à saint Augustin, pour lequel nul ne réclamait. Lorsque, au neuvième siècle, Scot Érigène enseignait que le mal n’existait pas, qu’il est seulement la corruption ou la diminution du bien, ne copiait-il pas saint Augustin ? Saint Anselme, dont les travaux ont été, de nos jours, remis en lumière, fat, en philosophie, le continuateur profond de saint Augustin. Quand Leibnitz a développé sa théorie du mal., il n’a fait que reproduire les pensées de l’évêque d’Hippone. Il y a des gens aujourd’hui qui, le plus sérieusement du monde, aspirent à l’alliance de la philosophie et de la religion comme à une grande nouveauté chez les hommes. Ils oublient que cette alliance a été faite et signée par les plus fiers génies dans les premiers siècles chrétiens. Ils ne savent pas avec quelle constante autorité saint Augustin a fait marcher la philosophie à côté de la religion, avec quel profond respect il parlait des anciens philosophes. Cet incomparable penseur, que nous avons appelé le Platon chrétien, a tant admiré Platon, que certaines de ses paroles approbatives éveillèrent un jour les scrupules de sa piété ! L’union de la raison et de la foi, voilà la plus belle manière de croire. Personne, plus que saint Augustin, n’a réservé les droits de la raison et ne l’a introduite dans les conseils de l’âme pour monter aux régions de la foi. Il a défendu les droits de la conscience humaine, et, par lui, l’homme est devenu son premier point de départ dans sa course vers les vérités invisibles. Notre dix-septième siècle, ce siècle de tant de génie, de raison et de foi, savait ce que valait saint Augustin ; il professait pour l’évêque d’Hippone une admiration sans bornes. La philosophie de cette grande époque[2] fut la philosophie du docteur africain. Depuis quatorze cents ans, saint Augustin, comme théologien et comme philosophe, règne sous son nom ou sous d’autres noms dans le monde des idées, et cette royauté n’est pas de celles qui passent. L’école de Descartes, qui n’est autre que l’école de saint Augustin, comme nous l’avons montré ailleurs, reprendra, nous l’espérons[3], possession des chaires françaises. C’est l’école philosophique du vrai génie chrétien.

À ne voir dans saint Augustin que l’homme ami des hommes, vous lui reconnaîtrez encore un indéfinissable empire sur les âmes. Du fond de ce siècle en travail de destinées nouvelles, du milieu d’immenses ruines et de l’agitation des peuples, sort une voix douce comme la compassion, tendre comme l’amour, résignée comme l’espérance en Dieu. Elle apporte un baume à toutes les souffrances, du calme à tous les orages, le pardon à tout cœur qui se repent, et c’est elle surtout qui soupire dans l’exil de la vie et chante la patrie absente. On entend l’âme humaine gémir et aussi éclater d’une façon magnifique par la bouche de celui qui en avait senti toutes les infirmités et compris toute la gloire. Cette voix suave charmait nos monastères du Moyen Age qui transcrivirent avec une prédilection marquée les œuvres immortelles de l’évêque d’Hippone[4] ; elle nous charme encore, nous, hommes du monde, livrés à toute l’activité humaine. Augustin est l’homme de tous les siècles par le sentiment.

Cette voix, partie d’Afrique, dont le retentissement fut si magnifique et si universel, nous instruit et nous touche dans un livre qui ne porte pas le nom d’Augustin, mais qui évidemment est né de l’influence de son génie : ce livre est l’Imitation de Jésus-Christ. L’humilité profonde à l’aide de laquelle on s’élève aux plus grands mystères, cet amour de la vérité qui impose silence à toute créature et ne veut entendre que Dieu lui-même, la manière de lire utilement les saintes Écritures,

  1. Défense de la Tradition des saints Pères, liv. iv. chap. 16.
  2. Malebranche exagéra quelquefois ou reproduisit mal les doctrines philosophiques de saint Augustin. Fénelon se montra l’interprète de la vraie philosophie de l’évêque d’Hippone dans sa réfutation du système de Malebranche sur la Nature et la Grâce.
  3. Nous avons surtout conçu cette espérance après avoir lu le volume de M. Cousin qui renferme les lettres du P. André, et après avoir lu aussi sa dernière appréciation critique du Kantisme. L’abandon de la philosophie allemande sera le rétablissement de l’empire de Descartes.
  4. Les plus belles transcriptions des ouvrages de saint Augustin sont parties des monastères d’Anchin et de Marchiennes. On trouve quel-