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chapitre cinquante-quatrième.

et son corps fut enseveli dans l’église de Saint Étienne, l’ancienne église de la Paix, où, durant si longtemps, le peuple d’Hippone avait recueilli ses paroles. Possidius nous dit que saint Augustin prêcha jusqu’à sa dernière maladie, vivement, fortement, sans que son esprit et sa raison vinssent à fléchir. Le grand évêque était demeuré sain de tous ses membres ; ni sa vue ni son ouïe n’avaient reçu la moindre atteinte. Il ne fit aucun testament, parce que, dit son biographe, pauvre de Dieu, il n’avait rien à laisser à personne. Ceux de ses parents qui manquaient de ressources avaient été, pendant sa vie, secourus comme les autres pauvres. Ses ornements furent remis au prêtre chargé de la maison épiscopale. Saint Augustin recommandait toujours d’avoir soin de la bibliothèque de l’église, et de bien garder les livres pour la postérité. Ses ouvrages, comme tous ceux qu’il avait pu recueillir, furent légués à l’Église d’Hippone.

Possidius[1] ne parla pas de la douleur de la ville, veuve d’un pasteur si illustre et si révéré. Mais nous n’avons qu’à nous rappeler les émotions populaires dans la basilique de la Paix le jour de l’élection du successeur de saint Augustin, pour deviner la vive affliction de la cité catholique quand la nouvelle de la mort du grand évêque vint à retentir. Cette calamité fit oublier un moment toutes les angoisses du siège, et lorsque ensuite la réflexion fit voir, d’un côté, la présence des Barbares, de l’autre l’absence de saint Augustin muet sous la pierre d’un tombeau, un violent désespoir saisit les âmes : Hippone se trouvait en face du malheur, et son consolateur n’était plus là ! Le souvenir des leçons et des exemples d’Augustin arrivait seul pour soutenir le courage d’un peuple durement frappé.

On ne pense pas sans tristesse aux images qui auraient empoisonné les derniers jours de l’évêque d’Hippone, si la contemplation du monde invisible et impérissable ne les avait adoucis. La cité de la terre, dont saint Augustin avait tracé l’origine et les vicissitudes, lui apparaissait sous de bien sombres aspects, et c’est vers la cité de Dieu, dont il fut aussi l’Homère catholique, que s’élevaient toutes ses espérances. Nous croyons cependant que sain Augustin, par la puissance de son génie, et surtout par un rayon parti d’en-haut, salua le nouveau monde qui devait sortir du vieux monde condamné, entrevit-les siècles futurs recevant des inspirations du christianisme toute leur gloire, l’Occident redevenu jeune et vivace sous les pas des Barbares, comme la nature redevient plus brillante et l’air plus pur après les orages, et enfin l’univers entier marchant à l’unité morale avec la croix pour bannière. Cette vision de l’avenir était une sorte de voile d’or jeté sur la terre alors profondément déchirée. Et qui sait s’il ne fut pas donné à saint Augustin mourant d’apercevoir, par delà quatorze siècles, l’Afrique, arrachée à son désert et à ses longues ténèbres, recommençant la vie chrétienne à l’ombre du drapeau de la France ? Avec quelle douce joie ce grand homme eût emporté dans l’éternité cette prophétique image !

  1. La Vie de saint Augustin, par Possidius, est une œuvre simple et touchante ; il y règne un ton de douceur chrétienne mêlée de gravité. L’auteur est sobre de réflexions, s’en tient aux faits, et se laisse aller à sa vénération pour l’homme de Dieu, sans tomber dans un enthousiasme profane. Cette voix est pour nous précieuse et sacrée. Ses quarante ans d’intimité familière et douce avec saint Augustin, sans le moindre désaccord (absque amara ulla dissensione), donnent à Possidius quelque chose d’infiniment respectable. À quatorze siècles d’intervalle et quand il s’agit d’un grand et saint génie comme l’évêque d’Hippone, un homme qui nous dit : Je l’ai vu, je l’ai entendu, éveille dans notre esprit une très-vive curiosité. Il me semble toutefois que la Vie de saint Augustin, par Possidius, aurait pu être plus nourrie, plus abondante en faits ou en anecdotes trop peu de la part d’un témoin et d’un ami qui avait vu de si près ce grand homme. Une liste des écrus de saint Augustin termine l’œuvre de Possidius. J’ai sous les yeux l’édition publiée à Rome, en 1731, par D. Jean Salinas, 1 vol. in-8o. L’ouvrage de Possidius se trouve aussi à la fin du tome X des Œuvres de saint Augustin.